Chapitre XXX

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Ilona Lazykwartz

  Plus je le vois et plus je me dis que je ne sais rien de lui. Ça fait pourtant pas mal de temps qu'on vit ensemble, dans le même appartement. Et pourtant, il y a encore tant de choses que j'ignore, qui font naître en moi la curiosité d'en savoir plus.
  Lorsqu'on sort des vestiaires, pour le plaisir de mon odorat qui commençait à suffoquer, il fait un geste de la main. La personne qui répond n'est pas maigre, on distingue une petite bedaine derrière son pull. Il porte une casquette, sûrement pour cacher sa calvitie. C'est un homme âgé, sûrement le coach.
— Ilona, je te présente le coach.
— Alors c'est vous qui le laissez rentrer blessé ?
  Ce dernier se met à rire tandis que je me rends compte de mes paroles qui m'ont échappé.
— J'ai bien essayé de lui dire qu'on avait les moyens mais il n'a jamais voulu qu'on le soigne.
— Mais...vous êtes adultes ! Forcez le.
—  Lui aussi est adulte, réplique-t-il en rigolant. Mais si ça te chante, essaye de le forcer. Ça passera peut-être mieux.
— Peut-être bien, je devrais essayer…
— Vous avez fini de parler de moi ? Demande Axel, ennuyé.
  Je pouffe en détournant le regard vers lui où je découvre un mec blasé et frustré. Il est mignon quand il est grincheux.
  Il enchaîne une tape des mains avant que le coach reparte voir d'autres gens. Au loin, mes yeux croisent le regard d’Enzo. Des gouttes de sueur qui parsèment sa peau sont aussitôt balayées par sa serviette blanche qu'il passe sur son visage. Deux claquement doigts viennent perturber ma vision.
— Hey, on n'est pas là pour mater mais pour s'entraîner.
— Mais, je n'ai même pas de tenue de sport.
  Son regard en dit long. Un air sérieux, infranchissable. Le genre de visage qu'on ne peut défier pour négocier. Je déglutis car je devine déjà ses pensées. Ma voix n'a pas le temps de débattre que sa main saisit la mienne pour emmener mon corps tout droit vers les sacs de sable. Je fais face à ce punching-ball plus haut que moi, je frémis tandis que mes mains ignorent comment se placer. Y compris mes jambes d'ailleurs. En passant,je remarque le vide autour de moi alors ma tête se retourne pour apercevoir Axel qui s'est éloigné de quelques pas et qui me fixe les bras croisés. Je lâche un soupire et aussitôt il me lance un rictus. Mes lèvres s'apprêtent à s'ouvrir quand soudain son corps qui s'élance vers moi, d'une démarche nonchalante, me devance avec un sourire moqueur. Mon cœur s'arrête de battre lorsqu'il se place dans mon dos puis une vague de frisson parcourt mon épiderme quand ses mains m'aident à me positionner. Il est si proche de moi que je perds mes moyens. Je ne sais plus où me mettre et au lieu de regarder le sac de sable, je regarde mes pieds mais ses doigts me redressent la tête. Une douce chaleur envenime mes joues, c'est mauvais signe. Je ne supporte pas cette sensation, celle d'être soumise aux émotions. Surtout lorsqu'elles sont miennes car elles m'ont trahi de nombreuses fois. Mes dents pincent mes lèvres tandis que je murmure:
— Écarte-toi, s'il te plaît…
  Sans un mot, il s'écarte alors ma respiration reprend son rythme normal. Seulement, un étrange malaise résonne entre nous. J'étais peut-être un peu sèche, je n'en sais rien mais je n'avais pas le choix. Il fallait poser une limite. Je pince mes lèvres encore plus fort avant que mon poing tape finalement dans le sac. Je fais la moue quand soudain le son de sa voix me bascule à la réalité en faisant vriller l'organe rose logé dans ma poitrine.
— Essai plus fort et ne retiens pas tes coups, le sac ne va pas s'effondrer aussi facilement que tu peux le penser.
  J'acquiesce, les yeux rivés sur le sac en ignorant son regard focalisé sur mes gestes. Cette fois, j'essaie malgré moi de cogner plus fort. Je sursaute légèrement lorsque sa voix parvient de nouveau à mes oreilles :
— Ouais ! C'est bien comme ça ! Essai de taper plus fort !
  Je déglutis mais j'obéis et cette fois-ci, il saute de joie. Toujours en m’encourageant. Bizarrement, ça me fait sourire et je suis moins gêné pour frapper. C'était comme si les regards qui nageaient autour de moi s'étaient évaporés grâce à lui et sa joie contagieuse.
  Le temps est passé vite car la lumière de l'extérieur s'est obscurcie tandis que les lumières artificielles ont fait leur apparition dans la vaste salle de boxe. Mon cœur fait vibrer mon corps tout entier et la sueur me colle à la peau.
— Ça me dégoûte, affirmé-je en passant mes mains sur mon visage. Plus jamais tu ne me fais faire du sport sans une vraie tenue.
  Pour seule réponse, un rire amusé sort de ses lèvres. Je n'ai même pas la force de rétorquer. À force de taper, cogner, j'ai une seule envie c'est de m'allonger en étoile de mer sur mon lit.
— Tu vas sécher sur la route, t'inquiète, glousse-t-il dans la paume de sa main.
  Mon épaule le bouscule aussitôt quand j'arrive à ses côtés. Cette fois je n'ai pas pu me retenir, c'était la vanne de trop. Néanmoins, alors que mon corps s'élance vers la sortie, un léger sourire apparaît sur mes lèvres.

~✧~

  Mes yeux s'écarquillent dans l'obscurité de ma chambre. Des images du rêves qui vient de défiler me reviennent en mémoire. J'ai le cœur qui bat extrêmement vite, ses palpitations sont irrégulières au point que je reste là à regarder le plafond dans le vide jusqu'à ce que je distingue ses couleurs. J'allume mon téléphone et mes yeux sont aussitôt aveuglé par la vive lueur de l'écran. Il est cinq heures. J'ai réussi à dormir. Je n'ai pas fait de cauchemar, ni d'insomnie alors pourquoi je me sens aussi bizarre ? Ce n'était ni horrible comme rêve, pas au point de frissonner d'angoisse. La chaleur se dépose sur mes joues puis un long frisson me parcourt l'échine. Je saisis ma couette et m’emmitoufle dedans telle une larve. Les rêves ne se choisissent pas et pourtant, j'aimerai tant choisir le mien. Celui-ci me gène au plus au point. La preuve, je ne pense qu'à ça au lieu de l'oublier comme font tous les rêves d'habitude. Mais non, il a fallu que mes pensées soient obnubilées sur ça ! Mon corps se secoue dans tous les sens tandis que mes pieds se frottent entre eux. Quand j'y pense encore, je me braque davantage sur mon lit en me recroquevillant de gêne. Les yeux sont fait pour être étranges, farfelus. Néanmoins, j'ai toujours eu la croyance que les rêves apportent avec eux une signification. Qu'elle soit sombre, triste, heureuse, drôle, tranquille ou bien amoureuse… C'est sûr, demain, je ne le regarderai plus de la même manière.

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