Chapitre XLVI

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Axel Grenat

  Ça m'a saoulé, je suis parti. Je n'ai pas supporté qu'elle me parle comme ça. Pour une fois que je m'intéresse aux autres, il faut que je reçoive des reproches. Un instant, mon regard se noie sur ma guitare. Il ne me semble pas qu'elle soit rentrée. Je n'ai pas entendu la porte s'ouvrir, ni se fermer d'ailleurs. Plus j'y pense et plus je me dis que j'ai du temps pour jouer un peu. Mon corps bondit hors du lit tandis que je saisis aussitôt l'instrument.
  Plus je gratte la guitare, moins je vois le temps passer. Essoufflé, je tente désespérément de reprendre ma respiration tandis que du coin de l'œil, je remarque que la nuit est tombée.
  Pourquoi n'est-elle pas rentrée ? Est-ce qu'il lui est arrivé quelque chose ? Je n'arrête pas d'imaginer plusieurs scénarios. Ça se trouve elle a encore rencontré un type louche. Oh et puis merde. Pourquoi je m'inquiète ? Elle est grande, adulte. Je n'ai pas à me préoccuper d’elle. Puis, sincèrement, je doute qu'elle ai envie de me voir vu sa réaction de tout à l'heure.
  Mon cœur s'arrête de battre lorsque la porte se ferme. Malgré la fatigue, les yeux scrutent le seuil pour tomber sur la brune qui rentre enfin.
— Il est 22 heures, t'en as mis du temps.
  Elle me regarde, surprise. Aucune réaction. Ni de moi, ni d'elle lorsqu'elle s'enferme dans sa chambre. Elle rentre tard et ne me répond même pas ? C'est aberrant. Elle est devenue impolie avec le temps ? Je ne sais pas pourquoi ça m'affecte autant mais je m'en moque. Et je ne sais plus quoi faire. Elle me prend trop la tête, à un point où je ne sais même plus quoi regarder. Je fais défiler les chaînes, rien ne me fait envie. Tout ça pour un débardeur. Je ne comprends pas pourquoi ça la dérange autant. Je fais défiler les jeux vidéos, rien ne m'inspire. Life is strange ? Pourquoi pas, c'est mieux que rien. De toute façon, je n'avais pas envie de jouer à Mario kart.
  Trop concentré sur le jeu, je n'entends pas sa porte s'ouvrir ni ses pas se faufiler derrière le canapé pour mieux observer la télé.
— Tu devrais te cacher dans le placard, murmure-t-elle avant que j'appuie sur le bouton.
— Laisse-moi, lâché-je. Je sais jouer t'inquiète.
— Je te l'avais dit, réplique-t-elle. Résultat, tu t'es fait choper.
  Je relâche aussitôt la manette pour m'avachir avant de jeter ma tête en arrière. Nos regards se croisent. Elle, les bras croisés sur le dossier du canapé et ma tête qui s'y repose. Aucun son ne sort même si mes pensées meurent d'envie de traverser ma bouche.
— Pourquoi t'as sur réagi ?
— Et toi, pourquoi tu continues de me poser la question ? Rétorque-t-elle.
  Malgré moi, je lâche un soupir de frustration pour ne pas avoir la réponse que je voulais et vu le regard qu'elle me lance, elle est consciente de mon ressenti.
— Je ne vois pas l'intérêt de te déballer ma vie, lâche-t-elle en se redressant.
  Je m'apprête à rétorquer mais je me rends compte que je ne sais pas quoi répondre à ça. On est ami ? C'est ce qu'on s'est dit. Seulement, est-ce qu'on ressemble vraiment à des amis ? Je baisse la tête. Je ne sais vraiment pas quoi penser de tout ça.
— Très bien, soupiré-je.
— Tu ne me poses pas de questions sur ma vie et je ne pose pas de questions sur la tienne, ça te va ?
— Pas vraiment, bredouillé-je. Je suis du genre curieux, tu le sais ?
  Elle pouffe soudainement.
— Je le sais depuis notre rencontre. Tu étais sacrément con ce jour-là.
— Hé, parle pas du passé comme ça, rétorqué-je vexé. Je n'y suis pour rien. C'est cette fichue rumeur. Et quand on est ami, on ne s’insulte pas.
  Je croise les bras tandis que sa main reste tendu vers moi sans la mienne pour s'y joindre.
— Quand on est ami, il faut savoir être honnête, réplique-t-elle. Puis, tu t'es bien permis de critiquer le prénom de mon ex.
— Alors là, je n'y suis pour rien. C'était vital que je fasse cette blague sur les paillettes !
  Elle lâche un rictus avant de s'étirer tandis que je ne peux m'empêcher de décrocher un sourire.
— Ça te dit des pâtes ?
— Ouais.
— De toute façon, c'est tout ce que je sais faire, lâche-t-elle.
  Je bondis hors du canapé pour me mettre face à elle. Je fais mine d'être choqué par ses paroles en posant la main sur ma poitrine, la bouche en forme de fond.
— Kuwa ? Tu ne sais faire que ça ? Mais tu es une femme ! C'est dans tes putain de gêne de faire à manger !
  Soudain elle explose de rire, je la rejoins instantanément pour arrêter cette comédie.
— On aurait dit Mickaël Kyle, dit-elle sans pouvoir s'arrêter. La même tête !
— Qui ? Lui demandé-je, un sourcil redresser.
  Aussitôt, elle reproduit la même mimique.
— Kuwa ? M’imite-t-elle. Tu ne connais pas ma famille d'abord ?
  À mon tour, je pouffe de rire.
— T'étais pas mieux, rétorqué-je.
  En même temps qu'elle fait bouillir la casserole, on reprend petit à petit notre souffle. Néanmoins, j'ai encore mal au ventre. Je crois que je n'ai plus besoin de faire une autre séance d'abdos ce soir. Elle m'a crevé, je me suis crevé. Alors qu'elle place les spaghettis dans l'eau, je me pose les bras croisés à côté d'elle. Elle a encore le sourire aux lèvres, les joues roses marquées par son rire et encore des larmes de joie visible sur ses yeux verts. Ses doigts placent ses mèches rebelles derrière son oreille. Ça ne doit pas être simple d'avoir les cheveux longs. À mieux les observer, ils s'arrêtent au milieu de son dos. Alors que mes yeux divaguent plus bas, je me frotte immédiatement les yeux en tournant le regard vers ce qu'elle fait.
— Et…du coup, c'est un film ou une série ?
— De quoi ?
  Elle se retourne aussitôt tout en versant les pâtes dans la passoire. Seulement, tandis que mon regard scrute son visage, elle grimace et lâche aussitôt la casserole qui tombe dans l'évier..
— Oh putain, juré-je maladroitement en saisissant sa main.
— Ce n'est…
  Avant même qu'elle ne dise quoi que ce soit, je passe ma main sous l'eau froide. Je ne m'étais pas rendu compte que mon cœur s'était affolé tout d'un coup. Ce moment est passé si vite que je ne fais pas attention au silence qui dure depuis déjà deux minutes.
— Tu n'auras pas de trace normalement. Tu ne devrais pas te négliger, lui reproché-je. C'est important de passer de l'eau froide sur une brûlure.
  Sans un mot elle acquiesce.
— Merci…finit-t-elle par dire.
— De rien…Bon, on va le voir ce film ?
— Une série, me corrige-t-elle.
— Oui, bon… c'est pareil, sourié-je tandis qu'elle me bouscule gentiment.
  Alors qu'elle se dirige dans le salon, apportant le plat de pâte qui restait dans la passoire. Mon sourire s'estompe lorsque je vois le nom du contact qui s'affiche sur mon téléphone. Je raccroche fermement et alors que je comptais le ranger dans ma poche, un le vibreur de mon téléphone suivi de sa sonnerie retentit. Péniblement, j'allume mon portable pour voir son message. Il ose insister ? Je serre la mâchoire en lisant chaque mot qu'il a écrit. Sans même une once de sincérité. Dans un souffle de rage, je bloque son numéro.
  Une crise d'ado tardive ? Peut-être, mais mieux vaut tard que jamais comme on dit. Puis, honnêtement, il le vaut bien.

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