Chapitre XXXIX

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Axel Grenat

  C’est plus fort que moi, ma mémoire ressasse le passé comme un vilain chewing-gum qui ne se décroche jamais. Et cette migraine ne m’aide pas non plus. Malgré la douleur, mes pensées divaguent sur le combat. Je l’ai frappé. Je ne sais plus si j’y avais mis toute ma force mais il est tombé sous mes yeux alors je suppose que oui. Une boule atroce grignote le creux de mon estomac à force d’y penser. Je devrai plutôt essayer de me lever. Ma chambre tourbillonne et prend des proportions irrégulières à l'instant où je pose un pied à terre. Mon corps bascule légèrement à chacun de mes pas. Ma conscience me crie de retourner m’allonger, mais je reste sourd. J’ai trop faim pour m'arrêter. Aussitôt la lumière me brûle les rétines.

— Axel ? Ça va ?

  Je ne sens rien comme si chacun de mes membres ne m’appartenait plus mais petit à petit, ma vue devient plus nette. 

— Tu devrais te reposer encore un petit peu.

  Ce sont ses yeux que je découvre brusquement. Je ne les ai jamais vus d’aussi près. Aussi bleu qu’un vaste océan, ses iris me noient. Ce n’est pas normal. Je crois que c’est la fièvre qui me fait délirer.

— Arrête de me regarder comme ça, bégaie-t-elle. Ça devient gênant…

— Pardon, m’écarté-je aussitôt. 

  Je continue de la regarder, je ne sais pas pourquoi mais soudain elle me retourne pour me pousser dans ma chambre.

— Soigne-toi au lieu de me fixer comme un poisson.

  Je tombe instantanément sur mon lit quand d’un coup la couverture se trouve sur mon nez. Du revers de la main je la dégage aussitôt mais ma colocataire est aussi têtue que moi visiblement. Je pousse la couette de son côté tandis qu’elle pousse du mien jusqu’à ce que son corps penche aussitôt sur moi. Son front heurte le mien alors je grimace les dents serrées.

— T’as la tête dure, gémissé-je.

— Toi aussi, crétin…

  Alors que nos deux pupilles se croisent, le temps se fige pour laisser nos deux regards se décrypter et nos oreilles, entendre les battements de nos cœurs qui s'apprivoisent dans ce silence absolue où nos deux souffles se mélangent. En cet instant, c’est comme si mes pensées avaient givrées. Je ne pense plus à rien car il n’y a qu’elle que je vois et je ne parviens pas à penser à autre chose. Je n’arrive pas à penser à ce combat. Seulement, une voix venant du passé me murmure à l’oreille : Ce n’était pas de ta faute. Puis comme un rappel, de nouvelles images débarquent.

— T’étais dans ma chambre hier, pas vrai ? 

  Mon regard dérive sur ses lèvres lorsqu'elle se les pince. Un rictus sort de mes lèvres quand je vois son air paniqué. 

— Pourquoi tu ris ? s’offusque-t-elle.

— Tu comptes rester sur moi combien de temps ? 

  Ses joues virent à la couleur barbapapa en même temps que son corps se relève maladroitement du lit. Je sens enfin l’oxygène pénètrer mes poumons. 

— La prochaine fois je t’abandonne à ton sort ! 

— Tant mieux, me moqué-je.

  Elle a beau se tourner dos face à moi, ses mains s’entortillent comme si elle mourrait d’envie de rétorquer par quelque chose de plus fort pour fermer ma bouche et qu’elle est la satisfaction de gagner contre moi. Je n’aime pas particulièrement perdre, cependant, je suis curieux de voir ce qu’elle va me sortir. Sans surprise, elle se tourne face à moi et me lâche avant de sortir : 

— Tu devrais voir Enzo. C’est tout ce que j’ai à dire.

    Ce n’était pas ce à quoi je m’attendais. Quand je pense à lui, mon adversaire, ce sont mes coups que je ressasse. Surtout le dernier. Aller le voir serait une force mais je ne sais pas si j’en ai assez pour admettre ma faute. Je ne sais pas pourquoi elle me balance ces paroles. Ce n’est pas de ma faute, mais qu’est-ce qu’elle en sait ? Elle n’était pas sur le ring avec la sensation de mes poings cognant contre sa joue violemment puis son corps qui tombait sous mes yeux effarés et mon corps tremblant. Je refuse de le voir. Je n’en ai ni la force ni le courage. 

  Les heures défilent sans que je ne les aperçoive. Il a fallu que mes paupières se ferment d’elles-mêmes. Je ne sais pas quand ni comment. Je suis réveillé par une odeur alléchante, celle qui fait grogner mon estomac et parvient à hisser mon corps sur mes deux pieds. Quand je m’extirpe de la chambre, c’est pour découvrir un sac cartonné avec des papiers de sorties et des sauces. Lorsque mes yeux se dirigent vers le canapé, mes jambes suivent le mouvement pour découvrir ce qui se cache sur le canapé. La brune sursaute pour se tourner face à moi, les joues remplies avec de la sauce curry sur le coin de la lèvre. Avec un léger sourire, mon doigt tapote le coin de ma lèvre. Aussitôt, elle tousse avant de saisir la serviette pour s’essuyer la bouche. 

— Quelqu’un te rejoint ? 

— Non pourquoi ? Demande-t-elle les sourcils froncés.

— Dans ce cas…je peux le manger ? dis-je en pointant le deuxième panini sur la table. 

  Elle observe attentivement le dernier sandwich dans un profond silence d’hésitation. J’ai beau avoir faim, j’imagine qu’elle l’a payé son panini. C’est évident. 

— Laisse tomber, finissé-je par dire malgré mon ventre qui me menace alors que je rebrousse chemin.

— Attends, soupire-t-elle. Tiens. Prends-le.

— Mais non, t’inquiète.

— Si, insiste-t-elle.

  Elle prend aussitôt le panini pour me le tendre alors j’insiste en repoussant ses mains mais elle force aussitôt. J’ai comme une sensation de déjà vu qui me traverse l’esprit. Soudain, elle enfourche le panini dans ma bouche alors que je comptais prononcer un mot.

— Voilà, il est à toi et compte pas sur moi pour le manger, je ne supporte pas manger dans l’assiette des autres. 

  Je soupire d’exaspération avant de m’asseoir à ses côtés.

— Tu l’as appelé ? demande-t-elle entre deux bouchées. 

— Non, bredouillé-je.

— Tu devrais.

  Le silence revient et je refuse de riposter.

— Pourquoi ? reprend-elle.

  Lorsque je me tourne vers elle, son regard sérieux me déstabilise. Mon dos retombe lourdement sur le dossier tandis que ma bouche lâche un soupir. J’ai la sensation de me faire engueuler par un parent, d’être puni. 

— Tu n’as rien fait, insiste-t-elle. 

— Qu’est-ce que t’en sais ? 

— Je suis allée le voir pendant que tu étais braqué dans ta chambre à bouder. Et ne me regarde pas comme ça, me pointe-t-elle du doigt. Il…ce n’est pas à moi de le dire alors je t’en supplie, bouge toi le cul et va le voir à l'hôpital !

  Je n’apprécie pas son air assuré mais il va bien falloir que j’admette qu’elle a raison.

GARCE Où les histoires vivent. Découvrez maintenant