Chapitre XXVI

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Axel Grenat

Je vois encore son corps trembler et tous ces gens qui passaient à côté en ne lui jetant qu'un rapide coup d'œil dans cette allée blanche. Elle s'étouffait dans son propre corps au point de vouloir saisir son cœur pour le libérer. C'était comme si ma mère était en face de moi.

- Je reviens, je dois aller aux toilettes, s'exclame-t-elle en se redressant avant de s'étirer les bras.

J'acquiesce, le regard dans le vide en imaginant ma mère.

- Tombe pas dans le trou, rétorqué-je précipitamment, avant qu'elle ne prenne la porte.

Je l'entends glousser et sans m'en rendre compte, un sourire apparaît sur mes lèvres. Mes poings se serrent dès qu'il s'efface quand son visage apparaît dans ma tête. Celui de mon père. Un soupir de frustration sort de ma bouche en même temps que je me lève. Il va falloir que je règle ce problème avec lui. Cependant, je sais qu'il ne va pas m'écouter. Il n'en a rien à faire de moi. Il n'en a rien a faire de son fils. Tout simplement, car je ne suis pas lui. Sa voix résonne encore dans ma tête, ses dernières paroles lorsque je l'ai eu au téléphone.

- Excusez-moi...

J'ai l'impression d'avoir entendu une voix. J'hallucine maintenant. Je ne sais pas ce qui m'arrive. Mon corps sursaute d'un seul coup lorsque un doigt me tape deux fois sur l'épaule. Mes yeux défilent de haut en bas pour mieux analyser cette personne. Une femme au cheveux châtains clairs, ondulé, les lèvres retroussées et les doigts emmêlés entre eux et des bleus sur le corps. Une vaste image de ma mère pousse ma tête à se secouer dans les deux sens pour effacer cette vue.

- Qu'est-ce que tu me veux ?

- Elle va bien ? Murmure-t-elle, mal à l'aise.

Je revois ma colocataire dans ce couloir blanc, étroit, en train d'étouffer, son corps en boule tandis que les gens l'ignoraient. J'acquiesce, les yeux rivés sur le sol puis elle soupire de soulagement.

- Ça me rassure alors, sourit-elle.

- Dis, lancé-je pour taire ce blanc. Il s'est passé quoi ?

Je la sens soudainement mal à l'aise lorsque sa main passe dans ses cheveux. Je n'aurai peut-être pas dû poser cette question. Ça doit être difficile à aborder. C'est le sens même d'un traumatisme. Je m'en veux. Je n'aurai pas dû. Soudain, une silhouette vient se poser sur un banc, pas loin des escaliers. Je la regarde et sa main, avec son bras bandé, me fait signe. Ses yeux se ferment puis elle prend une grande inspiration tandis que des bourdonnements résonnent dans le creux de mon ventre.

- Je marchais dans la rue, je rentrais chez moi. J'ai fait l'erreur d'aider cet homme...

Sa voix se met à trembler, son rythme cardiaque s'accélérer tandis que ses pieds cognent de plus en plus rapidement le sol.

- Il avait l'air mal au point, alors j'ai voulu l'aider mais il a saisi mon poignet.

Aussitôt, mes yeux se posent sur le bandage ou sa main tremblante se pose.

- Il m'a coincé avec lui dans la ruelle et a touché mon corps... ça...ça me dégoûte... Puis, elle est arrivée, s'est interposée... elle n'aurait pas dû car à sa place...je l'aurai laissé se faire violer.

Ses derniers mots me font déglutir. Je ne sais pas trop comment le prendre. Comment aurait-elle pu l'abandonner si Ilona était dans son cas. Elle serait partie ? Elle aurait sauvé sa peau ? Je me lève subitement, les poings serrés, les ongles coincés dans ma chair alors que mes dents grignotent lentement le bout de mes lèvres.

- Attends, se précipite-t-elle en tenant le bout de mon t-shirt. Ne pars pas. Je suis désolée de ce que j'ai dit... j'ai voulu être honnête. Je suis reconnaissante envers ta petite amie, elle m'a sauvé. Je pense que dans un sens, je me demande pourquoi elle a agit comme ça. En tant que femme, on ne veut pas subir ce genre de chose, subir le fantasme de certains hommes alors je me demande, pourquoi n'est-elle pas partie pour sauver sa vie et ne pas vivre des minutes où nous sommes des objets sexuels, souillé...par l'égoïsme de ces hommes...

Des larmes apparaissent au creux de ses yeux. Alors je déglutis, me souvenant de ma mère, ses cris et les larmes qui se laissaient sombrer sur le carrelage. Je prends une grande inspiration avant de lâcher, la gorge serrée :

- C'est bon. Je comprends.

Timidement, ses doigts se séparent de mon t-shirt.

- Tu n'avais pas à subir ça, continué-je avant de commencer à partir.

Je n'ai pas envie de rester ici. Ça me rappelle trop mon enfance, trop mon passé, celui que je cherche à oublier mais en vain car mon père est toujours dans le coin pour me le rappeler. De toute manière, je récupère ce qui lui appartient et je mets fin à ma relation avec lui. Que je sois là ou non, je pense qu'il s'en moque. Il me déteste autant que je le hais.

- Attends ! Dis-lui, merci de ma part. Je sais que...ça lui rappelle la ruelle de me voir...

J'acquiesce rapidement avant d'entrer à l'intérieur de l'hôpital. Mes doigts me grattent la tête tandis que mes yeux fouillent les alentours à la recherche des toilettes. Mon pouls s'accélère lorsque j'imagine le pire. Elle est peut-être en pleine crise d'angoisse aux toilettes, comme la dernière fois. Je fonce aussitôt en direction de la silhouette rose en robe. Mes yeux ne prennent même pas la peine de scruter les alentours que j'entre au toilette quand soudain la chasse d'eau est tiré et une femme sort d'une des cabines à la porte bleue. Un cri me rend presque sourd.

- Bordel, soupire-t-elle. Mais qu'est-ce que tu fous ici ? T'es malade ! C'est les toilettes des filles !

Un rire s'échappe de ma gorge puis mes bras s'entremêlent contre mon torse.

- Oui bah, bégayé-je. Tu étais un peu trop longue...

- Mais...je... c'était la grosse commission...soupire-t-elle, gênée.

Mon poing m'empêche de pouffer lorsque je bois ses paroles. Puis elle lâche un soupir énervé.

- Tu fous quoi ici ? Ne me dit pas que tu étais inquiet ? Lève-t-elle les yeux au ciel en passant près de moi, en n'oubliant pas de croiser nos regards tandis qu'une drôle de chaleur émane de mes joues.

- N'importe quoi, rié-je en soufflant.




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