Chapitre XXVIII

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Ilona Lazykwartz

  Lorsque j'approche de cette rue, une vague de frisson s'empare de mon corps et fait vriller mon cœur. Des souvenirs obscurs envahissent mon esprit, c'est comme des milliers d'aiguilles qui viennent s'enfoncer dans ma chair tandis que mes jambes avancent malgré leur tremblement. Je secoue la tête dans tous les sens tandis que le vent me fait presque perdre l'équilibre. Je ne suis pas comme ces autres femmes en talon et pourtant c'est comme si j'en portais. Du coin de l'œil, je tombe sur cette satanée ruelle et mon corps s'arrête aussitôt de bouger. Ce n'est rien. Il est enfermé. N'empêche, je n'arrive pas à me sentir en sécurité. Je commence à avancer malgré les peurs qui rongent le creux de mon ventre. La rue est si vide qu'elle me terrifie. Je suis tétanisée quand soudain des pas, autre que les miens, résonnent. Mon rythme cardiaque s'accélère quand soudain un bras s'abat sur mes épaules.
— Hey !
  Mes bras partent dans tous les sens et mes pieds piétinent le sol à toute vitesse. Je me dégage de son emprise, essoufflée.
— Hey, gémit-il. Je ne vais rien te faire t'inquiète pas…
— T'es qui ?
  Le temps qu'il reprenne ses esprits, mes yeux le scrutent de haut en bas. Jean troué, t-shirt blanc parfait rentré dans le pantalon et une veste en jean aussi. Un pendentif d'argent est aussi accroché à son cou. Il est brun avec des tâches de rousseur soudain sa voix m’extirpe de mon observation.
— Ça va ? Excuse si je t'ai fait peur. Je te voyais paniquer alors je voulais te…protéger. Tu sais ? Au cas où.
  J'acquiesce en passant une main sur mon front. Il ne m'a pas l'air si méchant que ça, tout à fait normal. Au moins je n'ai pas affaire à un vieillard dégarni.
— Merci, lâché-je en commençant à partir.
— Attends !
  Je me retourne, frissonnante. Ce n'est pas le bon moment pour me parler. Je veux rentrer chez moi, essayer de dormir et c'est tout.
— T'as besoin que je t'accompagne ? Ça ne me rassure pas trop que tu rentres seule.
  Je le regarde droit dans les yeux. Je ne décèle rien de louche en lui. Mon cœur remarque bien qu'il me veut du bien, qu'il est sincère. Mais peut-être qu'il se trompe. Je ne sais pas qui croire. Il pince ses lèvres puis me dit :
— J'ai…je sais qu'il y a des gars louche en ville. Je n'en suis pas un, je t'assure. Quoique, je suis con. Tu dois pas me croire… je ne sais pas comment te prouver que je suis pas un mauvais type.
  Je l'entends ruminer alors sans contrôle, un rire s'échappe de mes lèvres. Son regard se tourne alors face à moi, sa bouche entrouverte comme celle d'un chat.
— D'accord, accompagne-moi.
  Il sourit et se place à mes côtés en trottinant légèrement. Le sourire aux lèvres, les yeux plissés, il me demande :
— D'ailleurs, c'est quoi ton prénom ?
— Ilona, et toi ?
— Enzo, s'exclame-t-il en se plaçant face à moi avec une légère révérence. Mademoiselle, je vous prie d'accepter mes remerciements pour vous escorter vers votre demeure afin d'avoir la certitude que vous soyez en sécurité… Vous l'êtes au moins ? Avez-vous un chien ?
— Non, rié-je.
  Il acquiesce, le regard vers le bitume. En se replaçant à mes côtés, les mains jointes dans son dos comme un enfant.
— Moi j'ai deux chiens et un oiseau, murmure-t-il.
— Comment s'appelle-t-il ?
  Son visage regagne un air jovial et expressif. Ses yeux pétillent soudainement.
— Le plus petit Jasper. Il est adorable ! Le plus grand des deux, Poppy.
— Poppy ? C'est mignon, affirmé-je.
— C'est vrai mais beaucoup disent que c'est trop enfantin pourtant j'adore. Et l'oiseau s'appelle Mika, une vraie pipelette !
— C'est mignon aussi !
  Avant même d'en dire plus, je suis surprise de retrouver les trottoirs de ma rue. Avec un soupir souriant, je me tourne face à lui.
— Merci de m'avoir accompagné.
— Avec plaisir, mademoiselle !
  En rigolant, il refait sa révérence avant de me saluer de la main.
— À bientôt ! S'exclame-t-il
  Je ris discrètement avant de pénétrer dans l'appartement. Sans surprise, il n'y a personne. Pas un seul bruit dans l'appart. De nouveau, je me retrouve seule. Soudain, ma main se colle aussitôt à mes lèvres pour cacher la bouche qui s'ouvre en grand pour bailler. Le canapé m'observe et me fait carrément de l'œil. Alors je m'allonge aussitôt et sans m'en apercevoir, mes pensées sombres dans le monde des rêves.

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  Mon corps se lève en sursaut trempé de sueur tandis que mon rythme cardiaque s'affole. Je regagne mon souffle quand soudain des pas cours à moi. Je sursaute d'un seul coup lorsque deux mains s'abat sur le dossier du canapé. Mes yeux croisent aussitôt ceux de mon colocataire. Il n'a pas la même expression que d'habitude. Il a l'air inquiet. La bouche entrouverte, légèrement essoufflée et ses yeux qui quittent presque leur orbite.
— Ça va ? S'enquiert-il.
  J'acquiesce quand soudain sa tête s'avachit sur la paume de sa main. 
— Tu ne peux pas vivre comme ça, murmure-t-il.
— Quoi ? Murmuré-je à mon tour.
  Nos regards se croisent à nouveau mais cette fois, il m'a l'air déterminé. Il n'a pas l'air de rire cette fois-ci. Ce n'est pas comme d'habitude, ça le change. Alors je ne sais pas si je dois être inquiète ou non.
— C'est censé être moi l'insomniaque, pas toi. C'est encore à cause de ce type je parie.
  Aussitôt mes membres tremblent. Ma main essaie d'arrêter l'autre, seulement, celle-ci tremble tout autant. Mes dents pincent alors mes lèvres sèches, seulement, ses doigts viennent pivoter ma tête vers lui pour plonger à nouveau dans son regard.
— Je ne peux pas te laisser dans cette galère…
  Sa phrase reste en suspens et une boule de frustration naît dans ma gorge. Dans le son de sa voix, j'entends qu'il se retient de prononcer ses derniers mots.
— Je vais t'aider à effacer cette ordure de ta tête, m’assure-t-il. Je t'aiderai à ne plus faire de cauchemar pour que tu puisses mieux dormir. J'y veillerai.
  Ses paroles sonnent comme une promesse. Au fond de moi, je n'ai pas la certitude si  ce qu'il dit est vrai, si ça va se réaliser. Seulement, des tonnes de voix dans ma tête me forcent à le croire. Et j'ose croire qu'il va réussir à faire disparaître ces cauchemars atroces que je ne supporte plus. L'étincelle dans son regard me force à boire ses paroles.

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