Chapitre XLIV

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Axel Grenat

 
  Je ne peux m'empêcher de me dire qu'elle doit crever de chaud avec ce sweat. Rien qu'avec ma veste, je suffoque. Je me demande pourquoi elle s'obstine à porter un pull. Quand je repense à cette tenue qu'elle a porté pour la soirée, je commence à me dire qu'elle cache toute sa beauté. Elle était magnifique, même si ça me gène de l'avouer. Je jette un coup d'œil furtif sur la rue où je l'ai déposé mais je manque de m'étouffer quand je vois qui lui tient compagnie.
— Hé, l'interpellé-je tandis qu'elle se tourne vers moi.
— Quoi ?
  Je soupire lorsqu'elle croise les bras.
— Qu'est-ce que tu faisais avec elle ?
— Je n'ai pas le droit de lui parler ? rétorque-t-elle innocemment.
  Ma main passe dans mes cheveux.
— Non…fin, ouais mais si c'est par hypocrisie laisse tomber.
— Oh pitié, tu penses vraiment ça de moi ? Que je suis hypocrite ? T'es mon ami, non ? Je suis…déçu que tu penses, ça, de moi.
— C'est…bégayé-je. Ce n'est pas ce que je voulais dire. Je trouve ça juste bizarre que tu fasses ami-ami avec elle.
  Elle arbore un visage furieux, à deux doigts de me gifler pour mes paroles brutes.
— Sois plus clair, me dit-elle plus posément.
— Tu t'es faites des idées comme quoi j'aime cette fille puis tu t'es mis dans la tête de l'invité à une soirée, sûrement pour me tester ou la tester avec tes idées tordues de lectrice de roman cucul la praline.
  Soudain elle pouffe de rire avant de se poser sur ma moto tandis que je reste perplexe face à son vif changement d'émotion.
— Je suis ton amie, évidemment que je me pose des questions sur cette fille. Je te connais depuis quoi ? Le CE2 ? T'es sortie avec beaucoup de filles et moi, sans te vexer, je suis bien plus fidèle que toi et plus amoureuse aussi. T'es même pas rester trois mois avec tes ex puis je vois bien que t'as changé depuis le début d'année.
   Elle me regarde avec un sourire en coin tandis que je fais la moue. Ça me vexe et en même temps je ne comprends pas ce qu'elle me dit. Je suis certain que je n'ai pas tant changé que ça. Je me supporte depuis ma naissance, j'aurai remarqué je pense.
— Bon, je te laisse, s'écrit-elle en se levant brusquement. J'ai un cours magistral qui m'attend et je ne tiens pas à le louper !
  C'est vrai que je suis à la fac, je dois y aller moi aussi.
  Au fond, dans un un sens elle n'a pas tout à fait tort même si c'est difficile de voir que je n'étais pas un bon gars avec ces filles. Je ne sais pas pourquoi mais je me rappelle des paroles d’Inès lorsqu'elle m'a largué à ce restaurant de bourge. Je lui ai vraiment mal parlé ce jour-là. Ça me gène. Ses yeux étaient rouges, ses lèvres tremblaient tout comme sa voix. Pour les autres, je ne m'en souviens plus. Je ne devrais plus y penser, c'est du passé. En plus, c'est gênant de m'imaginer comme un connard sans cœur. C'est sa tronche de que je vois, comme si j'étais son sosie et ça me répugne. Rien que de penser à cet homme, ça me dégoûte.
  Un bras s'enroule sur mes épaules. C'est lorsque je vois sa tête heureuse que je me dis que j'aurai mieux fait de dormir.
— Yo, s'exclame-t-il alors que certains étudiants le fixent furieusement.
  Sans un mot, ma tête se repose lourdement sur la paume de ma main tandis qu'il s'installe dans le plus grand des calme.
— J'ai raté quoi ? chuchote-t-il.
— T'avais qu'à venir plus tôt.
  Il s'écarte de moi alors je me focalise à nouveau sur le cours mais au bout d'un moment, mes yeux s'écartent du tableau, de la silhouette du professeur pour se détourner de sa cible vers une autre. Même à l'intérieur elle porte une capuche comme pour se cacher. Je l'avais déjà remarqué avant mais là il fait étonnamment chaud aujourd'hui. Elle doit avoir chaud là-dessous.
— Eh, tu fixes qui comme ça ?
— Chut, l'arrêté-je aussitôt.
  Alors que c'est la fin du cours, que chaque étudiant se lève pour quitter l'amphithéâtre, mes yeux la scrutent encore. Même dans ces couloirs bourrés d'étudiants, je continue de regarder sa silhouette.
— Eh, Axel ! Tu viens ?
  Matthias n'arrête pas de m'appeler.
— Eh oh ! T'es dans la lune ou quoi ?
— Laisse-moi, lâché-je. Je n'ai pas très envie de parler là, excuse-moi.
  Elle me prend la tête. Je meurs d'envie de penser à autre chose mais ce n'est pas nette. Je fouille les couloirs de fond en comble, ignorant les étudiants qui se plaignent quand je les bouscule vite fait. C'est la pause pour elle, je crois. Je m'en souviens d'avoir vu son emploi du temps sur la table. Sans hésitation, je cours dehors jusqu'à la voir traverser la route quand soudain mon cœur s'arrête. Mon corps fonce instinctivement vers elle pour qu'elle atterrisse aussitôt dans mes bras. Je pince mes lèvres avant de prendre son corps dans mes bras. Tant pis pour le prochain cours, je demanderai à Matthias. Avec un peu de chance, il me pardonnera d'avoir été froid tout à l'heure.
  Dans un petit parc pas loin de l'université, je l'allonge sous un arbre en gardant sa tête sur mon bras le temps de poser mon sac avant de la laisser se reposer dessus. Le dos de la main se pose sur sa joue. Je savais qu'elle allait crever de chaud là-dessous. J'aurai dû l’en dissuader, au moins elle n'aurait pas fait ce malaise. Je ne sais pas ce que je dois faire. Délicatement, j'ouvre mon sac pour saisir le premier livre souple que j'ai sous la main. Ça ne va pas suffir. Alors je fouille à nouveau pour, cette fois-ci, prendre ma gourde. Là, ça devrait le faire. Cependant, je désespère aussitôt quand je vois ce qui enveloppe son corps. Je ne sais pas si j'ai le droit. Mes pensées ne peuvent pas voir à travers les siens pour obtenir son consentement. Je déteste la voir comme ça été je déteste avoir ce genre de foutu dilemme. Je veux l'aider mais si j'enlève son pull, elle pourrait croire que je viole son intimité et alors je ne serais pas mieux que ce taré qui l'a frappé. Pourquoi je me pose toutes ces questions, sérieusement ? Oh pire, tant pis. Je préfère qu'elle me déteste plutôt que de la laisser suffoquer dans son sweat noir.

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