Chapitre VII

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Axel Grenat

  Je ne sais pas pourquoi j'ai fait ça. Inès m'a largué avant-hier et je vais déjà vivre avec une autre. Je suis con. On va pas arrêter de me charrier, de me taquiner. En bref : me faire chier.
  Agacé, j’envoie un message à Sarah. Les cinq minutes passent et aucune réponse. Je suis frustré.
  Sérieusement, qu'est-ce qui m'a pris d'écouter ses conseils à la con ? Pourquoi j'ai accepté ? Ça ne me dérange pas tant que ça, dans le fond, qu'elle habite chez moi et qu'on fasse coloc ensemble. Cependant, je déteste faire la démarche. C'est bien connu, trop bon trop con. J'ai pas envie d'être placé dans cette case là. Le visage d’Inès fait volte-face dans ma tête, comme un éclair qui ne reste jamais longtemps dans le ciel. J'en ai des frissons.
  Je suis à bout de souffle. Pourquoi a-t-il fallu que je joue les gentlemen à porter sa valise ?
— Je peux la prendre, insiste-t-elle.
  Cette fois, il s'agit de ma sœur qui apparaît dans un coin de ma tête. Après que cette fille soit partie en vitesse de l'agence, elle a insisté pour que je la laisse être ma colocataire. Au départ, j'ai refusé. Je suis assez réticent à l'idée de partager mon appartement avec quelqu'un. Mes potes, même avec eux, ça me gène, mais ça passe encore. Après, ce contexte est différent. C'est une fille, une inconnue et notre première rencontre s'est mal passée. J'avoue, je l'ai cherché après ce que m'a dit Matthias était marrant puis je m'attendais à être face à une vraie chaudasse. À la place, je me suis retrouvée face à une femme armée d'un bouclier en apparence. Ses yeux, je les ai vu comme l'on regarde la profondeur d'un océan. C'est une sensation étrange, je ne saurai l'expliquer. Comme un pressentiment, celui qui te murmure à l'oreille la vérité que l'on ne voit pas. D'habitude, je m'en fou. Je n'y prête pas attention. Ce n'est pas mon problème. Cependant, j'ignore pourquoi, mais elle m'a détraqué. La preuve, je porte sa valise. Ou alors c'est à cause de l'influence de ma sœur qui m'a regardé avec ses airs assassins du “t'as pas le choix”. 
  On arrive à l'appart, la seule chose à laquelle je pense c'est mon lit. J'ai envie de faire l'étoile de mer. Seulement…non, elle est assez grande pour se débrouiller. Je vais la laisser gérer pour la suite.
— Je te laisse, tu connais le chemin.
  Elle acquiesce, encore une fois. C'est la seule chose qu'elle sait faire j'ai l'impression.
  Je me braque dans ma chambre et aussitôt j'appelle Sarah comme elle est incapable de répondre à mes messages.
— Allo ?
— C'est fait, lui annoncé-je.
— Ça y est ? Vous êtes coloc ? Génial ! J'espère qu'elle me pardonnera…
— Hé, tu me dois deux services du coup.
— Comment ça “deux” ?
— Je suis allé la voir et elle est devenue ma coloc, ça fait deux, dis-je fièrement.
— Le premier ça ne compte pas !
— Si, si ! Je te laisse, j'ai d'autres choses à faire perso.
  Je raccroche aussitôt. Je l'entends râler d'ici alors je rigole instantanément.
 
  La sonnerie résonne à mes oreilles, je me réveille en sursaut et de mauvaise humeur. Je soupire. Je veux me recoucher mais la voix de ma mère me murmure à l'oreille comme si elle était là alors qu'elle n'est même pas dans le coin. Elle est à trente minutes de la ville.
  Mon cœur cesse de battre à la vue de cette silhouette. J'avais oublié qu'elle était là. Cette dernière me regarde, les yeux ronds, les joues grossis et ses lèvres retroussées. On dirait un hamster avec…mes céréales ?
— Tu fous quoi avec mes céréales ?
  Elle froncé les sourcils avant d'avaler.
— C'est les miennes. Comment pourrais-je savoir où sont les tiennes ?
  Je lâche un soupire avant de courir dans le placard. Bordel.
— Tu vois, lance-t-elle agacée.
  Mon paquet est là.
  Je m'approche de son paquet, le mien sous le bras.
— Hé ! T'as t'es céréales, rétorque-t-elle.
— Attends, soupiré-je.
  J'observe les deux paquets. Ils sont putains d’identiques.
  Je n'ai jamais vu une seule personne manger les mêmes céréales que moi. Celle-ci me regarde fixement, méfiante, comme si j'allais lui piquer son paquet.
— Je vais pas te le piquer, t'inquiète, la rassuré-je. Je regardais juste.
  Je m'installe sur une chaise seulement, il ne se passe que deux secondes. Ces secondes sont atrocement longues car en attendant, il y a un long silence qui reste en suspend. Comme un déclic, j'écarquille les yeux et quand je me tourne face à elle, je croise son regard étonné.
— On pourrait faire un truc ? Là, maintenant.
  Je l'entends déglutir. Hésitante, elle acquiesce. Je devine ses pensées. Je ne sais pas comment d'ailleurs.
— Ce n'est pas sexuel. Je veux juste établir des règles.
— Des règles ? Pourquoi ?
  Elle est dans l'incompréhension. Ça me semble pourtant logique d'en faire. Je n'aimerais pas qu'elle volé mes céréales ou mes yaourts.
— Pour connaître les limites de l'autre. Par exemple, ne pas aller dans ma chambre et voler la nourriture de l'autre.
— Je comprends pas trop. Ça me semblait logique…murmure-t-elle.
— Celui-là, par contre, tu ne pouvais pas le savoir. Je ne veux pas qu'on sache qu'on est en colloc.
— T'as honte ?
— Pas vraiment…
  Je suis dans la merde.
  Son regard est suspicieux. Les femmes sont dangereuses. Elle pourrait me faire passer à la petite casserole comme Inès. Quoique, cette fille n'est pas elle et elle n'est rien. Juste une inconnue. Pourquoi j'en fais toute une baguette ? En y pensant, j'ai très envie d'une baguette de pain toute chaude et croustillante.
— Pas grave, je m'en fiche, répond-elle subitement en mangeant ses céréales avec son visage d’hamster.
  Je me gratte la nuque, assez surpris de sa réponse.
  Finalement, tout va bien.

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