Chapitre XLI

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Ilona Lazykwart

  J'ai le cœur en sang quand j'y repense. C'est une fissure qui s'ouvre par phase, celle qu'on doit laisser passer seulement, quand l'émotion est trop forte alors on se braque surtout lorsqu'on est habitué à bloquer la poitrine pour faire barrière aux larmes. J'ai de la peine pour ce chaton qui n'a rien demandé. Il n'a pas demandé à ce qu'on pleure devant lui. Il risquerait de se faire des idées, croire que je le déteste.
— Parle-moi, insiste-t-il.
  Je bascule ma tête de droite à gauche.
  Je ne peux pas parler. Surtout maintenant. Je pourrais craquer. Seulement, lorsque sa patte douce et chaude touche ma peau, mes larmes résistent bien plus ardemment et mes forces me lâchent. Alors qu'il relâche son emprise sur mon bras, le chat retrouve la terre ferme tandis que j'en profite pour foncer dans ma chambre seulement ses bras recouvrent mes épaules, son torse contre mon dos. Une larme s'échappe pour descendre sur ma joue alors son étreinte se resserre et je fond littéralement en larme alors que j'étais convaincu de pouvoir y échapper.
— Je suis pas le type le plus doué pour écouter, parler de tristesse ou autre… Je pense qu'à m'amuser, je le sais. Mais je t'en prie, parle-moi. Je ferai un effort pour ne pas être con…
  Ses paroles réchauffent mon cœur mais ne cessent pas mes larmes. Au contraire, elles s'évadent encore plus de mes yeux. J'acquiesce car aucun mot ne peut partir. Je touche son bras de ma main pour lui dire, ok. Je te fais confiance.
  Alors que mes yeux deviennent rouges, que mon chagrin a fini par passer. Un long silence demeure. Je n'ai pas l'habitude de parler à cœur ouvert. Si je n'ai pas de difficulté par écrit alors par oral, c'est un véritable mur avec une porte en acier rouge qui me fait face pour me laisser entrer dans un labyrinthe infranchissable.
— J'ai…perdue mon chat…
  Mes mots sortent tout seul mais là manière dont elles se montrent me gène. Elles sont trop directes comme si j'étais une enfant. Mes phrases ne se prononcent pas comme je le voudrais. À l'oral, parler de ça c'est comme être sur une scène immense devant des millions de personnes. Des mots sortent n'importe comment. Et pourtant, je jette un regard furtif sur lui. À mon plus grand étonnement, il se montre compréhensif. Il ne me regarde pas, il a la tête baissée comme s'il avait compris que je ne voulais pas être vue.
— Elle est arrivée quand j'étais très jeune, on est resté longtemps ensemble. Mais…le temps est passé. Personne ne l'a vu venir. On croyait tous que ça irait, qu'elle vivrait encore cent ans de plus… sauf qu'elle a commencé à ne plus supporter la vie. Elle s’isolait, ne mangeait plus beaucoup… elle était étalée sur le sol malgré que la chaleur était plutôt normale. Ça faisait…trop mal de la voir comme ça. J'ai envoyé un message à ma mère pour lui dire que son état empirait. Malgré tout, on avait de l'espoir. Le lendemain on l'a emmené chez le vétérinaire. On nous a dit…qu'elle avait probablement le cancer. Elle souffrait, on n'avait pas assez d'argent pour des soins en ville alors… on n'a préféré laisser le temps. Elle est décédée sans nous, on l'a laissée chez le vétérinaire et on pensait la revoir ce soir. Mais le véto à appelé ma mère à 17h45… pour lui dire que c'était fini…
  À chaque mot qui venait du champ lexical de la fin, ma voix craquait et là encore, ma voix cède pour éclater dans un sanglot étouffé. La poitrine serrée, le dos recroquevillé sur moi-même comme l'adolescente que j'étais. Je pleure en silence, les souvenirs de ce jour-là qui torture mon âme à chaque instant où je ne pense à rien. Chaque chose, chaque objet apporte un souvenir. Également les lieux. C'est aussi pour ça que je suis matérialiste. Chaque objet que je possède est comme une boule en verre qui garde en lui un souvenir passé. Alors je les conserve. Seulement, il y a des choses qui sont douloureuses. La cuisine où sont corps étaient étalés sur le sol et mon corps qui restait à côté d'elle. Elle ressentait ma peine car elle s'éloignait de moi peu de temps après pour s'isoler sur le tapis de l'entrée. Puis la salle de bain où elle a fait pipi dans la baignoire tellement elle était fatiguée pour marcher jusqu'à l'une des trois litières. L'herbe près de l'immeuble qu'elle a pu voir une dernière fois avant de mourir. Elle ronronnait, elle était heureuse. Puis, les croquettes qu'elles mangeaient, qui sont restées dans sa gamelle comme s'ils l'attendaient pour être mangées. Les miaulements de mon deuxième chat résonnent encore dans ma poitrine. Il n'a pas pu lui dire au revoir alors il n'arrêtait pas de la chercher. Encore aujourd'hui, il la cherche.
  Soudain, son corps vient me réchauffer pour me serrer fortement contre lui jusqu'à ce que mes larmes s'évanouissent. Sa main frotte mon dos tandis que je renifle contre son épaule. Lorsqu'il s'écarte, c'est pour essuyer la dernière larme.
— Je suis désolé, murmure-t-il.
  J'acquiesce faiblement avant de m'écarter pour frotter mes yeux. Je n'ai pas l'habitude de pleurer autant. Enfin si, cette fois là. Je n'ai jamais affronter la mort. J'ai connue une personne qui est décédé mais, même si c'est triste à dire, je n'étais pas assez proche de cette femme pour pleurer. Ma Plume, mon chat, celle qui était un peu comme une mère, une sœur. C'est pour elle que j'ai déversé toute mes larmes et pour qui j'ai le ventre noué.
— Parle-moi d'elle.
  Je déglutis avant de m'enfoncer dans le canapé. Une jambe sur le canapé, je la serre contre moi avant de commencer :
— La première fois que je l'ai rencontrée. Elle courait partout. Mais arrivée chez moi, elle se cachait sous les meubles. Elle était très proche de mon père, bien plus que moi. Par contre, une chose me marque beaucoup. La première fois qu'elle m'a fait un câlin. Mon premier vrai contact avec elle. C'est ma mère qui m'a un peu donné l'idée. Elle me disait que les animaux ressentaient les émotions des gens alors j'ai fait semblant d'être triste.
  Je lâche un petit rire quand j'y pense tandis qu'il se pose plus confortablement sur le canapé, les deux jambes qui ne touchent plus le sol, son coude sur le dossier et sa main qui laisse sa tête se reposer tandis que son regard me fixe comme concentré sur chaque mot qui sorte de ma bouche.
— Il y a une nuit où Plume était coincé dans ma chambre. Elle n'arrêtait pas de faire des allers-retours en passant par l'arrière de ma tête puis descendait du lit avant de recommencer à passer derrière…
  Mon sourire s'estompe soudainement et mes larmes recommencent à me picoter les yeux.
— J'ai peur que mes souvenirs d'elles disparaissent…lâché-je faiblement.
— Tant que tu vivras, elle continuera d’exister en toi. Même si les souvenirs périssent, le lien que tu as créé avec elle fait que rien ne pourra effacer son visage de ta mémoire.
  Mon regard remonte alors jusqu'au sien dans un silence lourd qui s'allège un peu plus en écoutant ses paroles plus profondément. Je sens de nouveau ma poitrine gonflé pour laisser entrer l'air. Et il n'a pas tort. Tant que je vivrai, son visage restera gravé dans ma mémoire tout comme cette date : 1er juillet 2024.

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