Chapitre LXXII

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Axel Grenat

  Je n'en reviens pas. La voix de Lexi me bascule dans une tout autre réalité. J'imagine sa vie désormais et mes poings se serrent lorsque je pense à ces ordures.
— Va lui parler je t'en prie. Je pense que tu es le seul qui puisse la raisonner, implore-t-elle. Elle t'aime mais culpabilise trop. Pour ton père, lorsqu'elle a fouillé dans ta vie et…c'est une fille qui garde trop son passé ancré en elle.
  Je baisse les yeux. Les souvenirs reviennent en mémoire comme une danse endiablée, rapide et nette à la fois.
— Garce, murmuré-je. Ce mot la hante… Si t'es ici, c'est qu'elle t'a dit que nous vivions ensemble.
  Elle sourit.
— Elle n'avait pas besoin de me le dire. C'était suspect dès le départ. Jamais elle n'aurait pu trahir ce secret entre vous.
  Je passe la main dans mes cheveux.
— Je fais quoi maintenant ? Jamais elle ne viendra d'elle-même. Seulement, si je viens vers elle, elle va me repousser.
  Toutes ces fois où elle m'a repoussée. J'y repense comme si ça s'était passé aujourd'hui. Ces moments se bousculent dans ma tête. Maintenant qu'elle m'a avoué tout ça, l'évidence est frappante. Elle faisait ça à contre cœur.
— Elle a même fait une crise de panique dans le couloir après qu'elle t'ai giflé, ajoute-t-elle.
  Ma poitrine se bloque aussi pour étreindre mon cœur qui s'arrête de battre tandis que mon souffle se coupe lui aussi. C'est une vraie enfant dans sa tête malgré son âge. J'ai une envie. Le désir de la prendre dans mes bras, d’aider cette adolescente fragile en elle. Car même si l'on est adulte, au fond de nous vit encore l'adolescent qu'on était hier.
— Tu chantes pas vrai ?
  Plutôt perplexe, je lui réponds :
— Euhm…oui, pourquoi ?
  Elle pince ses lèvres avant de s'exclamer en bondissant hors du canapé :
— Chante lui une chanson !
  Si j'étais en train de boire un ice tea, je l'aurais recraché aussi sec. Écrire une chanson ? Ça me semble fou et long. Alors que concrètement, je n'ai pas le temps de l'attendre. Je veux courir vers elle, la rejoindre dans cet hôtel pour la prendre dans mes bras. Lui dire que je sais tout, la supplier de me laisser, de ne pas me rejeter. Mon coeur a mal, mon coeur souffre sans elle à mes côtés. Je l'aime comme un dingue et il m'en aura fallu dû temps pour l'admettre. Il aura fallu qu'elle parte, m'ignore et me rejette pour que ce vide s'installe comme un poids impossible à soulever.
— Ça ne doit pas être compliqué, se demande-t-elle. Tu l'aime, tu es fou d'elle. Tu dois être inspiré.
— Il me faudra du temps…je veux que ça soit parfait.
— Tu n'es pas obligé de te mettre la pression. Ça la touchera, quoique tu fasses.
  Je me ronge les ongles, essayant déjà d'imaginer la chanson, les paroles.
— J'y tiens.
  Elle soupire mais malgré tout, elle affiche un sourire en acquiesçant.
  Une chanson, ça n'a l'air de rien. Seulement, j'y tiens et j'espère qu'elle reviendra. Au fond de moi, le doute envahit chaque millimètre de mon âme peu à peu. Seulement, si c'est la seule façon pour moi de faire taire ses peurs alors je dois le faire. Je vais me donner un délai, seulement trois semaines pour écrire la bonne chanson. Les paroles et le rythme, la mélodie pour bercer son cœur. Je veux la toucher, qu'elle ait confiance en moi, qu'elle cesse d'avoir peur. Je ne suis pas comme ces gens. Et je veux qu'elle sache que ces erreurs passées ne vont pas atteindre notre présent ni notre futur car mon cœur lui a déjà pardonné. Et puis, mon âme d'enfant la remercie pour m'avoir forcé à voir mon père. Elle me rend fort. Lorsque j'étais avec Inès, c'était fade. Non à cause d'elle, mais par ma faute. J'étais un mauvais mec. Les moments passés, j'étais sur mon téléphone, je ne souriais pas. De plus, il n'y avait qu'elle qui s'en souvenait. Pour moi, ces rendez-vous ressemblaient aux autres jours. J'ai compris que j'avais changé lorsque j'ai rencontré Ilona Lazykwart, que ces moments futiles me marquaient. Que ce soit notre première rencontre, lorsque je l'ai prise sur mon épaule, quand elle caressait ce chat, ses bras autour de mon corps sur la moto, quand on jouaient, ses yeux, ses lèvres ou bien quand je l'ai surprise en train de danser dans la salle de bain avec ses cheveux en pagaille. Puis les routines quotidiennes, quand on mange nos céréales, quand elle court dans tous les sens en pensant être en retard. Ça a beau être inutile, inintéressant pour certains, ce sont ces choses qui marquent mon esprit comme une chanson qu'on ne peut oublier. Il m'a fallu du temps pour l'assumer, le voir et l'apprécier. Ça me fait bizarre de me dire : ouais, je suis amoureux.
  Durant ces jours, je ne cesse de rayer des mots des phrases ou même de déchirer une feuille pour tout recommencer. Encore et encore jusqu'à trouver ces mots qui toucheront son cœur. Ça fait combien de temps que je n'ai pas écrit ? Longtemps, mais ça va me revenir. C'est comme le vélo, on n'oublie pas. Alors je m'exerce en continu jusqu'à trouver les couplets, les refrains. Ces paroles qui lui parleront autant qu'elles me parlent. À mesure que j'écris, l'inspiration commence à fuser. Il suffit simplement que je pense à elle. Elle avant toute cette histoire puis après, lui présenter ma douleur et avouer que j'ai pris conscience de la sienne. Je ne veux pas qu'elle ait mal, je veux lui prouver mon amour. Je fais le vœu que ces mots puissent l'apaiser. Je n'ai droit qu'à une seule chance. Et intérieurement, je ne suis pas bien. Je pince mes lèvres, je passe la main dans mes cheveux et je tape du pied. Les voisins sont furieux d'ailleurs. Il ne me reste plus qu'une semaine pour la mélodie. Ma tête tombe aussitôt contre mon bureau.
  Après plusieurs jours, des cernes énormes, je peux hurler que j'ai terminé et ça fait un bien fou malgré le doute qui plane au-dessus de ma tête. Alors que je m'étire, la sonnerie m’interrompt. Je tombe sur Lexi qui me regarde avec hâte avant de scruter mon visage fatigué et de pincer son nez.
— Ça fait combien de temps que tu ne t'es pas douché ?
  Je déglutis mais aussitôt, elle me pousse à l'intérieur en prenant soin de claquer la porte et de me pousser aussitôt dans la salle de bain. Je soupire malgré moi. Ensuite, elle me sort des vêtements en débarquant dans la salle de douche.
— Hey, frappe avant d'entrer ! Eh, t'as fouillé dans mon placard ?
  Elle ne perd pas de temps.
— Enfile ça.
— Pourquoi es-tu si pressée ?
— T'as fini ta musique ? Oui. Trois semaines sont passées, j'ai retenu alors hop, hop, hop on se bouge, s'écrit-elle.
  Je tape mes joues légèrement en voyant ma triste mine sur mon reflet. Au bout d'une heure ou deux, je suis finalement près. Elle sourit, satisfaite.
— Je pouvais m'habiller tout seul, soupiré-je.
— Avec ta tronche de mec qui n'a pas dormi ? Tu aurais fait les mauvais choix. À tous les coups, tu serais sortie en pyjama.
  Je soupire, la main dans les cheveux. En vérité, je l'admet, elle n'a pas tort même si le coup du pyjama est exagéré. Je serai juste partie sans mes vêtements habituels, donc t-shirt et jean. Avant de partir, je saisis ma guitare.

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