2-Rayon De Soleil

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Enfant, il ne jouait pas au football comme les autres garçons. Il ne gribouillait pas non plus sur de grandes feuilles de papier, ne pratiquait aucun instrument et détestait la compagnie. Enfant, et depuis ses douze ans, Rémi restait seul. Cruellement esseulé.

— Dis, comment tu t'appelles ?

Croyant d'abord ne pas être le destinataire de cette question, le jeune lycéen ne se retourna pas. Mais cette voix, douce et rassurante insista.

— Tu ne parles pas français ?

Le français, il le parlait depuis des années comme si elle était sa propre langue maternelle. C'est mouvoir ses lèvres qu'il refusait de faire, échanger, s'ouvrir aux autres. Les orphelinats de la capitale anglaise étant pleins, une résidence l'avait accueilli ici, à Paris. Une chance, disaient ses camarades orphelins, qui n'avaient auparavant jamais voyagé. Rémi n'était pas de cet avis .

— Tu sais, je peux t'apprendre. Par exemple, nice to meet you, ça se dit : content de te renc...

— Ne te fatigue pas, je parle ta langue, le rabroua Rémi sans le moindre accent anglais. Alors, par pitié ne me parle pas comme à un décérébré.

Nombre d'élèves se seraient mis en colère face à ce manque d'amabilité. Rémi se préparait déjà à voir son camarade de classe s'emporter, hausser la voix ou encore, si la chance lui souriait, abandonner le dialogue et repartir se fondre dans le troupeau d'élèves. Pourtant, il se contenta de s'asseoir à côté de lui, et s'affala contre le dossier d'un banc usé.

— Je m'appelle Bastien, on est dans la même classe, mais je n'ai toujours pas retenu ton nom. Tu as le droit de rester tout seul, bien sûr, mais je n'en sais rien, tu ne m'as pas l'air... — il hésita avant de souffler ce mot— heureux.

Rémi remarqua qu'il avait tendu timidement une main ouverte vers lui. S'attendait-il à recevoir de l'argent ? Pour lui signifier qu'il n'aurait rien à lui donner, le brun s'écarta d'un bond à gauche.

— Je m'appelle Rémi, lâcha-t-il du bout des lèvres.

Bastien n'ajouta pas un mot de plus que le ciel gronda, couvert de nuages sombres, et qu'une multitude de perles d'eau tombèrent dans la cour du lycée. Pourtant Rémi ne bougea pas : ses cheveux se noircirent d'humidité, et sa peau blanche se parsema de gouttes pluvieuses. Il aimait la pluie. Depuis toujours, elle lui rappelait son enfance. Les pique-niques sous bâche gâchés par le temps de Londres, les sauts dans les flaques, la boue, et surtout le sourire affectueux de ses deux parents, bordé d'optimisme et d'amour.

Un jour, le ciel avait rayonné du plus éblouissant soleil. Ce jour aurait dû le marquer comme  le plus spectaculaire de sa vie, il avait en fait été le plus gris. Et cela, Rémi l'avait compris dès que cette porte s'était refermée sur un lieu magique qu'il n'oublierait jamais.

— Tu viens ?

Ses bouclettes blondes se gorgeaient d'eau mais Bastien n'avait pas rejoint le hall du lycée, comme tous les autres élèves.

— Je vais rester là encore un peu, mais vas-y toi si tu as peur d'attraper un rhume.

Bastien sourcilla. Il voulut rétorquer quelque chose mais un éclair sillonna le ciel, et son grondement lui coupa la parole.

— Je n'aime pas les orages, ni la pluie, pesta-t-il en sortant de son sac à dos, un grand parapluie blanc.

Qu'est ce que ça peut me faire ? manqua de répliquer Rémi avant de capter le regard du blond, doux comme un ciel d'été. Aussi bleu que ce triste jour. Les cils trempés, il baissa la tête, puis le col de sa chemise s'humidifia aussitôt. Finalement il se leva, constatant que le blondinet claquait des dents malgré le bouclier immaculé qui se dressait au dessus de sa tête, et qu'il décala ensuite au dessus des cheveux du solitaire. S'il attrape un rhume, ça risque d'être de ma faute...

Rouge grenade (terminée) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant