— Venez avec moi, indiqua simplement Léo. Il y a des endroits plus agréables qu'ici pour discuter.
D'un sort, Lizzie avait ôté toute la peinture qui avait maquillé le corps de Tom. Et s'il pouvait se montrer de manière présentable devant son roi —et ami —le vampire n'en demeurait pas serein. Qu'allait-il se passer maintenant ?
Tandis qu'ils quittaient la pièce, il sentit une main se plonger dans la sienne, et la plupart de ses craintes se dissipèrent.
Sa douce Lizzie...
Ça va aller, tu peux toujours inventer un mensonge. J'en trouverai un pour toi, si tu le souhaites, lui transmit-elle par pensées en longeant les couloirs de velours rouge.Joanne les talonnait, à peine anxieuse. Elle ne l' était jamais. Ou plutôt, elle ne le montrait pas. Ses ongles pianotaient contre les murs, avec rythme. Concert rompant le silence morbide des quatre ombrumes qui ne parvenaient à engager la conversation. Trop honteux, ou trop tendus.
Tom se raidit en passant devant l'escalier qui menait aux geôles. Sentiment qui se mua en soupir soulagé lorsqu'ils les dépassèrent.
Ils atteignirent le quartier d'or, celui de la famille Layon, par une passerelle de verre. Tout comme les escaliers de la bibliothèque, les dalles s'égayaient de lumières d'argent, de cuivre ou d'ambre dès qu'ils y posaient le pied. Tom tenta de se changer l'esprit en se concentrant sur ces couleurs. Un tableau qui lui rappelait le crépuscule, ou cet amas d'étoile qu'il observait depuis son téléscope, gracieusement offert par la reine des fées.
Au bout du couloir cristallin, des éclats roses s'illuminèrent. Certains y verraient une allusion à l'aube, signant la fin de la nuit, mais Tom préféra y déceler cette nuance précieuse qu'il retrouvait dans les yeux de sa fée...Son amie. Rien que son amie.
Il nia rapidement d'un balayement de tête les insinuations douloureuses que son esprit venait d'émettre. Ma meilleure amie, rien d'autre, se convainquit-il, cherchant pourtant du bout des doigts ceux de l'ombrume.
Peu importe ce qui arrive derrière cette porte, lui répéta-t-elle justement, par songes, la tête haute. Je serai toujours avec toi.
La porte en question s'ouvrit sur les appartements royaux. Là où Tom avait pu passer quelques nuits, invité à la table de la famille royale. Joanne y logeait la plupart du temps. Elle prétendait y aimer le luxe, et le confort des cercueils. Là bas, personne n'osait la déranger, et contrairement au reste du palais, aucun aménagement n'était à prévoir. Lizzie sembla s'en ébahir, les yeux écarquillés.
Fresques divines, représentant les nuages vaporeux, et tableaux cadrés d'or détaillant le visage des plus grands vampires. Le roi Dracula figurait sur la plupart, son fils occupait quelques places. Léo aussi avait été peint, aux côtés de ses frères, dont l'odieux Simon.
Ce dernier avait subi de multiples coups de poignard, comme si le peintre avait voulu représenter le prince héritier à l'issue d'une périlleuse bataille. En réalité, deviner l'autrice de cette profanation n'était pas bien compliqué.
Derrière Tom, elle adressa un sourire mauvais à l'œuvre, avant de ramener ses yeux de brume sur le tableau de sa Majesté. Indemme. Soigné dans sa tenue officielle et les traits crispés à force de prendre la pose.
— Entrez, invita-t-il justement en poussant un large battant de bois.
De toute sa vie, Tom n'avait visité la chambre royale que trois fois. Et il reconnaissait sans mal qu'elle était taillée pour un roi. Aussi dorée que les iris de son propriétaire, elle rayonnait de lumière, tapissée de bougies en chaque coin.
Elle ne contenait qu'un cercueil (pour au moins deux personnes), des rideaux pourpres aux anneaux d'argent et un secrétaire en pin rangeant pots, plumes et pinceaux de toutes tailles.Joanne prit place, sans gêne, dans un fauteuil de velours bordeaux et croisa ses jambes avec désinvolture.
— Alors pourquoi aviez vous mon sceptre ? reprit gentiment Léo en refermant la porte à clef derrière lui.
Mais le cliquetis qu'il produisit engendra un frisson dans la nuque de Tom. Avait-il seulement eu le temps de trouver un mensonge plausible ?
De vagues pistes avaient bien germé dans son esprit, toutefois aucune ne l'avait convaincu. Ou peut-être ne souhaitait-il pas garder son secret ?A vrai dire, maintenant que leur maître chanteur connaissait la sombre vérité, Tom ne voulait plus se réveiller avec cette épée de damocles au dessus de la tête.
Que le roi l'apprenne d'un inconnu n'arrangerait pas sa sentence.
Alors Tom avouerait. Peu importe le prix.
— C'est moi, mentit Lizzie d'une voix peinée avant qu'il ne puisse ouvrir la bouche, je trouvais le sceptre très beau, et je voulais le voir de plus près. Vous étiez occupé alors j'ai demandé à Tom et Joanne de me le ramener. Mon imagination a débordé, j'ai poussé Tom à se déguiser. Je...C'était un caprice stupide, je suis désolée...
Léo la fixa durement, mélangeant surprise et mépris. Il souhaita peut être la réprimander pour sa bêtise imaginaire, mais Tom posa une main sur l'épaule de la douce fée, et intervint d'un ton faible :
— Non... c'est faux.
Lizzie devint blême.
— Mais...— C'est adorable de vouloir me protéger, mais je ne supporterai pas de garder ce secret plus longtemps. Léo, il y a des siècles... j'ai... j'ai...
— Tom a tué quelqu'un... par accident bien sûr.
Tous se retournèrent vers Joanne qui, assise de travers sur le siège royal (les genoux et le dos pendus aux accoudoirs), redressa un sourcil :
— Quoi ? Vous alliez y passer la journée !
— Raconte-moi, avança Léo avec autorité, appuyé contre le bureau où reposait sa couronne.
Si Tom attendit que Joanne réponde encore à sa place, elle n'en fit rien. Mais les encouragements muets de Lizzie suffirent à délier sa langue, et il narra tout, sans omettre le moindre détail.
Je suis là pour toi, lui avait-elle promis, et il savait qu'elle ne l'abandonnerait pas.
***
— Je suis sincèrement... désolé, répèta Tom pour la quinzième fois. J'aurai voulu la sauver. Louise, ou Ewilona, a été l'une des personnes les plus importantes de ma vie.
Le roi ne l'avait pas interrompu, il n'avait pas non plus grogné de colère ou perdu un juron. Il l'avait écouté, avec respect. Toutefois, Tom avait préféré éviter son regard, de peur d'y retrouver le reflet d'une immense déception.
À la fin de son discours, il se décida à relever la tête, chassant de vilaines larmes naissantes. Et enfin Léo s'avança vers lui pour rendre son jugement.
Pour... lui offrir une accolade.
— Je sais... murmura - t-il, et Tom se figea de stupeur.
Du coin de l'œil, il aperçut un petit sourire malicieux germer sur les lèvres rouges de sa sœur. Savait-elle quelque chose ?
— Je sais à quel point elle comptait pour toi, poursuivit son ami, sérieux. Tout comme tu comptais pour elle.
Plus rien n'avait de sens. Si ce n' était la perplexité que partageait Lizzie. Tom ne savait s'il devait se sentir soulagé, ou au contraire redouter le pire. Léo n'était pas cruel, pas au point de le piéger par un mensonge pour mieux le torturer.
Alors s'il connaissait son crime, pourquoi ne pas lui en avoir fait part ?
Pourquoi n'avoir rien dit ?Sans un mot, le roi se pencha, et tira la poignée d'argent d'un tiroir. Une dizaine de lettres, toutes scellées par ruban lavande, apparut entre ses mains.
— Merci de votre honnêteté. C'est à mon tour de vous expliquer pourquoi j'ai tenu à vous avoir au palais... —Son regard se détacha de Tom pour se tourner vers Joanne—... tous les deux.
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Rouge grenade (terminée)
FantasyRose framboise Tome 2 [spoiler Tome 1] Tom et Lizzie ne se sont pas revus depuis plus de quinze ans. Quinze ans pendant lesquels la jeune fée s'est habituée au monde humain. Des années que le vampire espère toujours son retour, cloîtré dans un pa...