22- Mordu (2/3)

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La potion ne quittait pas son regard, dubitatif. De sa robe turquoise, à son minuscule bouchon de liège, elle avait tout l'air inoffensive. Elle l'était. Pour un vampire.

Mais pour une fée ? Une fée différente des autres ? Une fée dont la santé, supposément fragile, l'avait amenée à côtoyer le plus stupide—mais amoureux —des gardes du corps. Pour une fée forte mais délicate ? Une fée qui paraissait cacher derrière sa carapace solaire un million de secrets et de fêlures.

Tom s'était déjà interrogé sur la raison pour laquelle Lizzie avait finalement accepté sa compagnie. Il s'était aussi demandé pourquoi la reine avait préféré qu'un vampire l'accompagne plutôt qu'une noble fée. Il avait parfois tenté de comprendre comment une Ombrume aussi intrépide que Lizzie avait pu passer plus d'un siècle, à l'abri des regards, enfermée entre les murs austères d'un château.

Ses nuits avaient peut-être été rythmées par le tintement mélodieux de sa voix et les doux battements de ses ailes , Lizzie restait  la plus belle  énigme qu'il lui été donné de déchiffrer.

Était-ce d'ailleurs ce côté mystérieux, imprévisible et décalé qui l'avait séduit ?

Peu importe. Il ne connaîtrait jamais la réponse. Puisqu'elle ne s'expliquait pas.
Il l'aimait, voilà tout.

— Ne te sens pas obligée d'y goûter, insista-t-il, en reculant la fiole de ses yeux.

Léo avait imposé une unique condition : que tous ceux souhaitant connaître la vérité s'alimentent de ce breuvage. Il l'avait lui-même testé— avec l'aide secrète de la princesse Selena —, et se sentait fier d'avoir enfin achevé la potion d'anti-vérité sur laquelle il avait tant travaillé.

— Tu plaisantes ? rit-elle, en dégoupillant le flacon, une étincelle scintillant dans ses yeux. J'ai l'occasion d'en découvrir plus sur toi, la famille royale  vampire et je devrais laisser passer cette chance ?

Tom secoua la tête, et tenta de se montrer plus direct. Même si son simple sourire lui otait toute envie de la disputer.

— Lizzie, ça serait... idiot de mettre ta vie en danger pour une chose aussi... futile.

— Futile ? répéta-t-elle, eberluée. Découvrir ce que ta protectrice, la femme qui a si longtemps terni ton cœur, pensait de toi, c'est futile ? Pouvoir parler de ce que tu ressens avec quelqu'un qui l'a connue, qui l'a aimée ne vaut rien à tes yeux ? Je sais que non, Tom. Et je veux être à tes côtés, te soutenir quoi qu'il arrive. Je suis ton... amie.

Elle avait  pincé ce dernier mot, comme pour l'attenuer. C'était, du moins, ce que Tom eut envie de croire.

— Mais...

— Si je ne bois pas cette potion, personne ne pourra jamais me raconter ce qu'il s'est dit entre ces murs. Souviens toi de ce qu'a dit Léo : je ne pourrais pas non plus tenter de le lire dans ton esprit. Ta langue sera nouée. Je m'en voudrais si tu avais de nouveau le cœur brisé sans que je ne puisse t'apporter mon aide.

Il plongea dans l'aurore de ses yeux, où de fines bulles d'or remontaient, pétillantes. Il attrapa l'une de ses mains, vaine solution pour la retenir, ...Et elle vida le flacon en quelques goulées. Quand il s'en rendit compte, il était trop tard. Elle vacilla légèrement et se retint sur le bras bâti du garde.

Tom préféra se rassurer : Joanne et lui avaient aussi réagi de cette manière avant de recouvrer pleinement leurs esprits.

— Ne fais pas cette tête, lui sourit-elle, je vais très bien. Au pire, j'aurais simplement mal à la tête demain matin.

Bien sûr, Léo n'avait jamais prédit qu'elle trouverait la mort, mais un des ingrédients, une racine noire ne poussant qu'au bord des ruisseaux, avait déjà empoisonné plus d'une fée, et les avaient menées jusqu'à l'inconscience. Heureusement, Lizzie sembla tenir le coup et tira sur le bras de Tom  pour l'amener à son roi. Son ami. Et bientôt son confident.

Rouge grenade (terminée) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant