38 - Humaine?

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Selena ne pensait pas que ce lieu la terrifierait autant.

La dernière fois, elle s'était sentie tiraillée entre une pointe d'appréhension mais surtout une  folle excitation. À présent, devant les pistils sombres de la fleur, elle n'éprouvait que de la terreur.

S'ouvrirait-elle seulement pour elle ? Après tout ce temps ?

Fébrile, elle posa sa main contre la pierre glacée, récitant quelques formules de politesse dans l'espoir d'accomoder la divinité qui y logeait....Or l'entrée demeura close.

Déçue, elle bascula son front contre la paroi de pierre. Impuissante. Alors ça allait se terminer ainsi : tout ce chemin pour un douloureux refus ?

Elle devrait attendre, la peau gelée, les lèvres violettes et le cœur détruit que son petit ami lui revienne.

— Je vous en prie, supplia-t-elle d'une voix brisée, laissez moi le sauver. Je... dois réparer mon erreur... s'il vous plaît.

Une larme roula de ses cils à son menton. Elle tomba sur l'herbe, figée par une couche de givre.

— Archie... murmura-t-elle, si tu m'entends, je m'excuse. Je donnerai tout pour te revoir. Tiens bon, mon bel Oiseau. Tiens bon.

Comme si elle lui répondait, la caverne se mit à gronder. Les plus petits cailloux à ses pieds bondirent, et les filaments d'herbe se balancèrent, entraînés par cet air rugissant.

Selena manqua de chuter, mais un pistil souple s' enroula autour de sa taille de guêpe pour la retenir. Il la tira contre la pierre.

Pour Archie... s'encouragea t - elle avant de retenir sa respiration et de plonger dans l'étrange magma noirâtre, aux grumeaux peu engageants.

***

Lorsque Selena se réveilla, une violente douleur pressait son dos. Fichue colonne vertébrale. Elle avait sommeillé sans matelas, sur un lit seulement fait de planches de bois et d'un cadre de métal, presque comme un cercueil.

Elle se sentait plus éreintée que jamais, les muscles flasques, la vue trouble et la cheville tordue.

Revêtir une apparence en chair ne la surprenait pas -la fleur annihilait toute magie de toute manière -mais souffrir d'un lancinant mal de crâne, ça c'était plus inhabituel. Elle se massa les tempes en grimaçant. Qui avait pu l'assomer ?

Les rais solaires zebraient sa peau et le parquet miteux n'arrêtait pas de grincer à chacun de ses balancements. Elle décida enfin de se lever, époussetant sa robe de nuit.

Par la lune, où avait-elle atterri ?

Dans un ultime effort, elle atteignit la fenêtre, et poussa le volet, dont la peinture ocre s'écaillait sous ses doigts.

Enfin, la vue lui coupa le souffle.
Le soleil frappait la ville, où l'hiver blanc avait fondu, remplacé par des parterres de fleurs. En bas, une rivière grise accueillait les passants, et d'étrange bateaux carrés qui y voguaient.

Elle entreprit de descendre, en desescaladant sa tour— activité à laquelle elle s'était un jour initiée cherchant  l'adrénaline—quand une voix l'interpella.

— Mais vous êtes folle ? Remontez tout de suite ! Vous allez vous rompre le cou avec vos conneries !

C'était un homme bedonnant, penché sur son propre balcon. Ses cheveux rappelaient ceux des conseillers du roi Ivan, mais sa tenue ne s'accordait en rien aux cardigans  qu'ils portaient. Il tenait dans sa main, un étrange cylindre argenté qu'il semblait avoir délaissé au profit de la musique grotesque qui jaillissait de son miroir magique.

Rouge grenade (terminée) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant