Interlude : Le Guide De La Parfaite Sombrume

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Une fois par mois, pendant une heure, Lizzie m'autorise à gribouiller sur des feuilles de papier. Que ce soit des mots, des insultes, des secrets, des dessins, ou de succulentes envies d'assassinat, je m'y attèle avec plaisir. Tout est rangé dans un carnet : mon carnet secret.

Une seule condition m'est imposée. Que le nom interdit, celui de mon espèce supérieure, n'y soit pas mentionné.

J'ai accepté les règles —ce n'est pas comme si j'avais le choix non plus —mais comme ça va être très difficile de parler de moi, sans évoquer ma fabuleuse nature. On va la remplacer par des... Sucreries.

Contrairement à ce que les ombrumes affirment, être une guimauve  est merveilleux. Nous ne vieillissons pas, nous n'avons même pas d'enfance, nous n'avons rien à apprendre : tout est déjà rangé dans notre précieuse cervelle. Seul bémol : procréer nous est impossible.

Ça m'a fait étrange la première fois que Lizzie est venu au monde. Quelle idée de donner naissance à un bébé aussi ?

Quelle humiliation surtout  !
Moi, contrôlée par un vulgaire nourrisson, incapable de prononcer un sort.  Pauvre de moi !

Puis Lizzie a grandi. J'ai essayé de la changer, mais elle a si mal tourné, la pauvre petite. Si seulement sa mère s'était moins occupée d'elle, qu'elle n'avait pas reçu autant d'affection de sa —Beurk —famille, je me serais sans doute déjà éveillée.

A vrai dire, j'en rêve, depuis ma création.
C'est le but de toute sucette après tout, déployer sa puissance. Écraser les inférieurs et... Être libre. Ah la liberté, Lizzie non plus n'y a pas été insensible.

Je me demande ce que ça fait d' user sans limite de ses pouvoirs : une sensation grisante sans doute.

Mais en deux cent quarante ans, rien n'y a fait. Lizzie a résisté, d'autant plus lorsque ma... créatrice (rien que ce mot me donne la nausée) l'a obligée à mettre ces horribles anneaux. Je me suis sentie si diminuée ce jour là... J'ai cru que je ne me relèverais jamais.

Mais je suis là ! Prête à enfin régner en maîtresse des Ombrumes ! Prête à saccager chaque village, prête à me venger, exterminer, incendier, dévaster. Les dissoudre jusqu'au dernier.

Ou presque...
J'en épargnerai certains.
Tom déjà. Il ne faudrait pas l'abîmer. Je pourrais même laisser Lizzie le revoir de temps en temps...une fois par mois, pendant une heure.

Il y a aussi Bastien. Cet humain s'est avéré trop utile pour que je le détruise. De plus, sa mièvrerie excessive et son optimisme à toute épreuve m'amusaient un peu, je l'admets.

Et enfin, Joanne. Cette vampire a beau être agaçante, je crois qu'elle me manquerait. Elle et ses piques incessantes. Oui, la tuer serait un réel gâchis.

Sans compter, que Tom tient à elle. Il lui faudra bien quelqu'un pour le consoler quand Lizzie deviendra... Moi ?

Ah Lizzie. Cette bécasse n'aura que ce qu'elle mérite lorsque nous inverserons nos rôles. Moi en actrice, elle en spectatrice.
C'est vrai, pourquoi m'enfermer dans ce corps de fée, si ce n'est par pur sadisme ? Croyez-le, sous ses cheveux roses se cache l'aura d'une gorgone.

Bon, peut-être pas.

Lizzie a quelques qualités. Elle est sociale, active, elle ne se laisse jamais abattre, et sa curiosité naturelle est... plutôt chouette. Je suis sans doute dure avec elle.
Finalement, je crois même qu'à force de la subir, une partie de moi... l'aime bien.

Par la Lune, deteindrait-elle sur moi ?

Non, sûrement pas. Je reste et je resterai une grande chouquette que personne ne pourra jamais influencer.

Au contraire, c'est moi qui  attise les flammes.

Signé : Étincelle.

Rouge grenade (terminée) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant