39- Ne Pas Pleurer

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— Grande conseillère, répéta le plus jeune conseiller de la cour comme un  automate, nous nous réunissons au coucher du soleil pour... nommer un successeur. Seriez-vous des nôtres ?

Joanne froissa la jupe de sa robe corbeau, une tenue cérémonielle qu'elle avait accepté de porter après maintes insistances. De toute façon, sa tenue précédente était maculée de sang, déchirée et inutilisable. Trace des griffes d'un tigre noir sur une lionne.

Mais Rémi avait été arrêté. Menotté et emprisonné. Personne n' avait recousu ses plaies. On avait dû même lui en infliger de plus graves. Des gardes avaient été chargés de le torturer, d'extraire de sa bouche infâme le nom du poison qui avait cloué au cercueil le roi.

  Joanne savait parfaitement qu'un chevalier pliait , comme toutes ombrumes, sous un poignard d'onyx. Elle s'était chargée de lui, alors même qu'il revêtait encore l'apparence de son frère.

Rémi...
Si seulement, elle avait pu le tuer avant.

J'interdis cette réunion! pesta Joanne sans se soucier de maintenir son chuchotement.

Le conseiller trembla.

— Mais... Mais mademoiselle, le protocole l'exige. Sa Majesté n'a pas d'héritier et nous devons à tout prix commencer...

— Rappelez moi qui est la régente ! Qui donne les ordres ? cracha-t-elle, manquant de servir au misérable vampire un soufflet bien mérité.

Le faible conseiller ouvrit la bouche puis la referma.

— Laissez moi faire, Marty, intervint un nouvel arrivant, déjà dans son manteau de deuil.

Joanne retint un soupir d'agacement. Il ne manquait plus que lui.

Auprès du père de Léo, ce rat occupait son poste. Un statut qu'il avait rapidement perdu, relégué au rang de "simple" conseiller.

Allait-il seulement verser une seule larme si Léo...

Non, Joanne ne désirait pas y songer.

— Mademoiselle Mirror, il est impératif de ne pas laisser le trône vacant. En particulier, par les temps qui courent, les humains...

— Les humains ne seront bientôt plus une menace maintenant que nous avons... que j'ai arrêté leur chef. Quant à Léo, il est toujours vivant, et votre roi !

— Pour encore combien de temps ? siffla-t-il, médisant.

Joanne serra les poings et les dents. Cette ordure possédait trop d'alliés  pour qu'elle ne se permette d'en faire un scandale. Bien qu'elle le souhaitât ardemment.

— Comment osez vous parler ainsi de votre roi ? grinça-t-elle.

— Je ne fais qu'enoncer des faits. Sa Majesté est mourrant. Il va nous quitter. La tradition exige qu'on lui trouve un remplaçant. Mais ne vous embêtez pas à nous rejoindre...

Il s'approcha d'elle, laissant voguer son haleine putride.

—... D'ici peu, vous ne serez plus rien dans ce palais. Tout le monde sait que le roi vous a attribué ce poste pour espérer vous mettre dans son cercueil. Dommage pour lui, c'est un échec. Et quel terrible gâchis pour nous.

Si Joanne entrouvrit la bouche pour riposter, il ne lui laissa pas le temps de répondre : il partit. Son collègue lui emboîta le pas, non sans adresser un regard baigné de pitié à la belle vampire.

***

—Je savais que... c'était toi.

En posant la tisane de sang chaud sur la table de chevet de son ami, Joanne fut prise d'un frisson. L'état de Léo avait encore empiré : des gouttes de sueur perlaient sur son front blanc, et de vilaines brûlures gravaient sa gorge. Sa voix avait rouillé, semblable aux crissements d'une vieille horloge.

Rouge grenade (terminée) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant