43- Un Heureux Épilogue? (2/2)

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— Je suis désolée mais... je ne peux pas faire ça.

Lizzie les dévisageait comme s'ils avaient tout deux perdu la raison. Et  Léo admettait sans soucis qu'il n'avait jamais été aussi proche de transgresser le protocole royal.

— Et Tom qui n'arrêtait pas de nous rabâcher  que tu maîtrisais le don de l'esprit comme personne... pesta Joanne en fronçant les sourcils.

En réalité, Tom avait toujours exagéré, sans doute trop aveuglé par l'amour qu'il portait à la jeune princesse. Léo n'avait qu'à écouter Joanne pour s'en rendre compte. Cependant, il imaginait depuis peu que les dons de la fée allaient bien plus loin qu'elle ne le pensait—même couverts de deux annihilateurs de magie.

— Ce n'est pas pour ça. J'ai déjà essayé d'utiliser mes pouvoirs sur Rémi. Il sait s'en protéger.

Comme toute magie, celle de l'esprit rencontrait des faiblesses : des barrières mentales, que les plus aguerris pouvaient ériger et éviter alors qu'une fée malintentionnée ne puisse les envouter.

Une fée, peut-être, mais qui songerait à se protéger d'un vampire ?

Esquissant un petit sourire en coin, Joanne se tourna vers son fiancé qui devina que la même idée  lui avait traversé l'esprit.

— Tu te défoulerais, justifia-elle en haussant les épaules tandis que perplexe, Lizzie attendait une explication.

Ce que Joanne se garda bien de lui apporter, avant plusieurs minutes.

***

Si Dracula n'avait jamais été un bon roi, il avait transmis à Léo, son petit fils, un don des plus puissants.

L'hypnose.

D'un regard, le monarque pouvait non seulement plier une ombrume sous sa volonté, mais aussi lui briser l'âme,  l'achever sans cri, sans sang et sans que personne ne l'en soupçonne.

Le meurtrier d'or.  Voilà comment l'ancien souverain était surnommé, craint de tous, y compris de sa propre famille.

Alors quand, petit, Léo avait montré les premiers signes de magie, son père s'était immédiatement inquiété.
Il avait prié chaque nuit et s'était entêté à lui retirer sa magie.

Heureusement, il n'heritera jamais du trône, avait-t-il dit un matin alors que Léo avait pour la première fois enfreint la règle du coucher à l'aube.

Des sorciers avaient été invités et, à défaut de ne pouvoir l'en délivrer, ils avaient répandu la nouvelle dans les royaumes voisins.

Une épidémie verbale qui avait poussé le jeune prince à restreindre ses pouvoirs.

Il avait établi  trois règles.

Ne jamais l'utiliser à mauvais escient.

Libérer la victime quelques heures, si ce n'est minutes apres l'envoutement.

Et surtout : ne jamais tuer personne, même si on le suppliait.

L'entrée dans un esprit ne causait ni douleur, ni blessure. Sauf si l'on résistait.

Et Rémi résista. Si fort que le vampire  craignit de rompre sa troisième promesse, or le menton de l'homme  finit par s'abaisser, et il s'endormit. Les yeux clos, la respiration légère. Aussi silencieuse qu'un papillon, Lizzie s'avança sur la pointe des pieds et Léo se laissa tomber, moins gracieux, sur un fauteuil, épuisé.

— Tu as été fantastique, lui souffla Joanne en l'embrassant sur la joue. Peu de rois auraient accepté de lui laisser la vie sauve.

Des rayons roses s'étendirent dans la pièce, coupant d'un courant d'air fugace la lueur des chandelles. Dans la pénombre naissante, le visage de Rémi se redressa, comme guidé par des ficelles invisibles. Il ne grogna pas un son, et Lizzie commença son travail.

Les lanières roses dansèrent, flottèrent, percèrent comme des milliers de petites aiguilles le visage  amoché du prisonnier.  Si sa tête ne lui paraissait pas aussi lourde, Léo n'aurait sans doute pas détourné les yeux de cet éblouissant spectacle.

En quelques minutes seulement —le temps pour Joanne de se saisir d'une allumette et d'enflammer un à un chaque cierge—, la prodigieuse fée avait terminé. Elle recula d'un pas et son regard luminescent retrouva sa douceur.

— Il... ne se souvient plus de rien ? questionna Léo, toujours un peu désorienté.

Elle secoua la tête.

— De rien du tout. Il restera inconscient encore quelques heures, le temps de créer lui même de nouveaux souvenirs. Comme si...

... Il avait remonté dans le temps, comme il le souhaitait.

Et bientôt, son désastreux passé ne serait plus qu'un mauvais rêve.

***

— Je sais où Tom est enfermé.

Lizzie n'avait pas attendu que les premiers gardes ramènent Rémi dans sa geôle pour annoncer ce fait. Elle avait enfilé un chaperon, et attrapé un sac qui traînait dans un coin du bureau. Ses affaires étaient prêtes : sans doute l'étaient-elle depuis que Rémi lui avait appris qu'il retenait son tendre vampire prisonnier.
Elle s'apprêta à faire volte face quand Joanne lui retint le bras.

— Minute, je t'interdis de partir...

Son regard s'accrocha un instant à Léo, avant de rebondir sur la jeune fée qui protesta :

—Je partirai avec ou sans ton accord. Tom a besoin de moi, il risque sa vie à chaque seconde alors je...

Joanne trancha l'air de sa main droite pour l'arrêter.

— Je t'interdis de partir. Sans moi, rectifia-t-elle, les poings sur les hanches. Je prépare mes affaires et on y va.

Leo entrouvrit la bouche, mais trop tard, elle s'était déjà volatilisée. A la place, il ordonna que des poches de simili  sang soient préparées, avec un lot de bandages, d'onguents et de pommade anti-brulure.

Il gravit les marches jusqu'à son laboratoire, et piocha une dizaine de potions qu'il jugea fiables. La moitié guérirait Tom, l'autre servirait pour la défense.

Puis, il retrouva sa fiancée au beau milieu d'un désordre de papier, d'éclats de verre —qu'il associa aux carreaux brisées —et de lames aiguisées.

Joanne avait caché trois poignards dans ses habits, et avait repris non sans une ombre dans le regard, l'arc favori de Méridice. Elle insista pour que personne d'autre ne les accompagne : la discrétion serait leur arme la plus féroce.

Elle le quitta sur un baiser, et une caresse sur ses pommettes, puis entre ses boucles rousses.

— Ne fais pas de bêtises pendant mon absence, le taquina-t-elle, dans un adorable sourire.

— Et toi, sois prudente.

Elle s'ecarta et fit mine de s'offusquer.

— Je le suis toujours, enfin.

Puis, pour se contredire, elle bascula en arrière, arrachant à l'aide de ses poignards, les derniers lambeaux de verre, qui échouèrent une vingtaine de mètres plus bas.

Joanne s'envola. Ses ailes épousèrent le vent, et son corps de chauve souris accueillit ses pattes griffues au creux de son ventre. Quand elle disparut derrière la cime des sapins, Léo remarqua  que quelques gouttes de sang violacées tâchaient le cadre de la fenêtre.

Il eut une pensée amère pour ses médecins.

Une chose est sûre : ils ne se reposeraient pas cette nuit.

Rouge grenade (terminée) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant