Interlude : Une Couronne De Fleurs.

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— Méridice, je préfère que nous gardions tout ceci secret... Tu penses en être capable ?

Léo n'avait pas croisé son regard en prononçant ses mots d'une voix lourde.
Avachi, les mains entre ses genoux, le dos courbé, bien des ombrumes auraient pu le confondre avec un singe.
Sa demi-sœur accrocha son épaule, de sa main d'elfe. Toujours longue, blanche et fine, résultat de multiples prouesses génétiques.

Jadis, les elfes avaient été accusés d' incestes au sein de leur propre clan pour parvenir à reproduire sans cesse des visages  si parfaits. Mais la vérité était tout aussi macabre : quand un membre ne rentrait pas dans la case, il était tué ou exilé, avec de surcroît les oreilles mutilées.

Méridice aimait à penser, que contrairement à ce qu'affirmait son frère, c'était d'abord pour cette raison que son père l'avait cachée des siens. Pour la sauver.

Léo aussi venait de perdre le sien. Et mieux que quiconque, elle comprenait sa douleur. Ils étaient l'un pour l'autre leur dernière famille.

— Tu devrais te reposer, proposa-t-elle, tu trouveras une solution plus tard.

Mais le roi secoua la tête.

— Et... Et si elle s'éveillait cette nuit ? Et si j'avais condamné le monde tout entier ?

Méridice joignit ses mains à celles de son demi-frère, qui recouvraient son visage accablé.

— Tom va me tuer.

— Il souffrira mais il comprendra, Léo. Tu feras le bon choix, et... n' oublie pas que tu n'es pas seul. Si tu as besoin de conseil, Joanne, ou moi, sommes là pour toi.

Joanne, une drôle d'impression saisit l'elfe,en ressassant ce nom. À travers la poche de sa veste, elle tritura le papier qu'elle avait commencé à rédiger sans jamais trouver les mots adéquats, quelques heures plus tôt. Machinalement, elle se pinça les lèvres.

— Prends le temps qu'il te faut pour te décider. Je... vais tâcher de la calmer. D'après les archives, la princesse Lizzie est venue au monde il y a deux cents quarante et un ans. Alors, soit la véritable princesse est morte il y a peu  et sa mère n'a rien trouvé de mieux qu'une Sombrume pour la remplacer, soit... Elle a réussi à se contrôler pendant plus de deux siècles. Si c'est le cas, elle le pourra encore quelque jours.

Méridice avait d'abord envisagé la première solution, mais un détail la chiffonait. Tom avait côtoyé Lizzie pendant plus d' un demi-siècle. Si elle avait subitement perdu la mémoire, il l'aurait remarqué, non ?

Mais comment avait-elle pu résister si longtemps aux attractions de l'éveil ? Et surtout pourquoi avait-elle été créé ?

Ayant croisé une ou deux fois la route de la reine des fées, Méridice n'aurait jamais soupçonné qu'une Ombrume sage comme elle puisse concevoir un... tel monstre.

A moins qu'elle n'en soit pas la créatrice. A moins qu'il s'agisse d'un des douze enfants Blueheart, visiblement encore insatisfait de sa fratrie. Ça n'avait aucun sens !

Décidément, les vampires ne détenaient pas le monopole des casses-têtes familiaux.

— Non, ne l'approche pas, Méridice, je vais y aller. Je vais tenter de lui parler. Mais que personne ne l'approche à part moi.

— Pas tout seul, s'offusqua la capitaine en fronçant les sourcils. L'assasin court toujours dans le palais, ça serait le lieu idéal pour t' atteindre.

— Joanne m'accompagnera. Dès le lever du jour, Joanne et moi descendrons dans les cachots. Elle restera au pied des escaliers, pour me défendre si besoin. Je serai prudent, je te le promets.

Alors qu'une troupe de gardes emmenaient Lizzie dans les cachots, Méridice et Léo avaient décidé  d'avertir Joanne de leur découverte. L'elfe avait d'abord douté de ce choix, qui  risquait d'attiser les foudres de la jeune Lizzie, mais le roi avait insisté. Elle ne savait pas trop comment son amie réagirait, mais elle comptait sur Léo pour éviter les dérapages.

Qu'elle le veuille ou non, il finirait par lui raconter, de toute manière.

Écoutant les conseils de sa demi-sœur, il finit par  s'allonger dans son grand cercueil, encerclé de peluches et de plumes fuyant ses oreillers de soie.

Méridice remonta la couverture jusqu'à son cou, et prit place sur le bureau sous la lueur d'une chandelle. Elle sortit le bout de papier de sa poche, et gratta d'autres mots.

— À qui écris-tu ? demanda Léo, pas encore touché par le dieu du repos.

— À...une amie.

Elle se sentit rougir.

— Une amie seulement ? douta-t-il, noyé dans l'ombre.

— Oui.

Or elle prit conscience qu'elle avait menti.

Aliénor Wonder n'était plus vraiment une amie.

Elle n'était pas tout à fait son âme soeur non plus. Mais quelque part entre ces deux chemins.

Suivant la ligne gravée par sa plume, Méridice tentait de s'y retrouver.

— Si tu veux lui donner, vas y, je ne te retiens pas, l'incita Léo d'une voix ensommeillée.

— Pas maintenant. Je ne te laisserai pas seul.

Et puis, la lettre n'était pas complète. Il manquait... quelque chose.

— Le soleil va bientôt se lever. Joanne prendra le relais d'ici quelques minutes. Vas-y, avant que ton amie n'aille se coucher.

— Il a raison, acquiesça une voix dans l'embrasure de la porte, et Joanne apparut. Va retrouver Aliénor !

Le cœur de Méridice manqua un battement  .

— Comment tu sais que...

— Oh pitié, Meri, on lit en vous deux comme dans un livre ouvert. Va la rejoindre, et dis lui que tu l'aimes. Allez ouste ! l'obligea-t-elle en désignant la sortie d'un mouvement de tête.

Elle jeta un coup d'œil à Léo, qui acquiesça à son tour,  ce qui acheva de la décider. Il lui offrit un dernier conseil.

— Tu pourrais lui cueillir des fleurs. Je ne connais personne qui sache mieux cultiver des roses en hiver.

Le nez déjà dehors, elle fit volte face.

— Il y a une plante qui te ferait plaisir, Majesté ? lui sourit-elle.

En plus de guérir les blessures, la connexion parfaite avec la nature offrait aux elfes la capacité d'épanouir  les pousses les plus désespérées.

— Celle que tu souhaites. Je la ferai tremper dans de la résine pour que jamais elle ne fletrisse.

En disant cela, son regard n'avait pas une seule fois quitté celui de Joanne.

Et Méridice se souvint qu'une personne la regardait ainsi, ce qui lui décrocha un sourire.

Rouge grenade (terminée) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant