52 - Inconscience

141 19 337
                                    

— Détruire les clefs ? Dites moi que c'est une plaisanterie.

 Léo ne serait jamais permis de plaisanter en face du roi le plus autoritaire du monde des ombrumes.
Ses blagues—qu'elles soient bonnes ou terriblement mauvaises —, il les gardait pour ses amis ou sa fiancée qui, loin de lui, faisait encore battre son petit cœur royal. C'est cette pensée qui lui permit de rester impassible, à écouter les remontrances que lui adressait sa Majesté Ivan.

— Vous n'êtes qu'un imbécile !  Un inconscient! Si j'étais un vampire, j'aurais immédiatement demandé votre destitution. Misère, j'aurais dû le prévoir. Que pouvait-on  espérer d'un jeune prince, dénué de toute formation ? Ce n'était pas sur votre imbécile de père que nous pouvions compter pour vous instruire, ça non ! Et dire que si vous aviez accepté mon offre d'alliance, ce drame aurait pu être évité...

Léo encaissa sans rien dire. Malgré la dureté de ses propos, le fantôme avait raison. En détruisant les clefs, ils avaient anéanti le verrou qui scellait le temple de la lune. Une information que ni Evangeline, ni Ivan, ni le propre père de Léo n'avait songé à lui transmettre. Il n'avait retenu qu'une chose : son père lui avait interdit de rompre son sceptre et, bêtement, le vampire avait cru qu'il l'avait prohibé par crainte de faiblesse, pas par raison.  

 Peu avant la tombée de la nuit, le roi Ivan était entré dans le grand salon sans frapper, ni avertir quiconque de sa venue. Son teint s'était grisé d'effroi. Puis, en apprenant comment les clefs du temple de la lune avaient été détruites, sa rage s'était décuplée.

Pourquoi  s'entêtait-il toujours à parcourir les pensées de toutes les ombrumes qu'il croisait ?

— Ivan, taisez vous ! s'insurgea Evangeline.

— Vous... vous osez le défendre ?

Léo eut soudain la désagréable impression d'être devenu un enfant, dont les parents se disputaient au sujet de l'une de ses bêtises. Et il n'appréciait guère. Certes, son physique n'avait pas évolué depuis ses dix sept ans mais son esprit, lui, était âgé de plus de deux siècles.

— Vous savez ce qu'il en est, poursuivit le roi en s'adressant à sa tante. Si la sombrume se réveille, nous serions en première ligne. Comme vos parents, comme ma mère !

C'est ce qui terrifiait le plus Léo. Des siècles auparavant, les treize  souverains avaient été chassés de leur palais par leur propre peuple. Le protocole exigeait qu'ils combattent, qu'ils se sacrifient en échange d'une vie de confort et de richesse.

La sombrume s'attaquait d'abord aux ombrumes qu'elle jugeait menaçantes, elle reniflait l'anniel, l'énergie vitale de chacun et décidait, comme un client sur la carte gigantesque d'une auberge. En général, les fées constituaient un mets de choix pour l'appétit vorace du monstre destructeur. Ensuite, les phénix et les dragons, qui maniaient aussi bien le feu que la parole, trouvaient grâce sous ses griffes givrées.

Les sorciers, les vampires, et les gorgones ne risquaient leur vie qu'à ce moment là.

La dernière fois, la moitié du royaume avait péri, broyée par les serres du monstre. Mais la famille royale — à l'exception du roi Dracula — avait survécu, protégée par un dôme que la sombrume avait épargné. 

Cependant, cette fois, tout changeait.  Dans l'aile est, réservée aux nobles et aux invités, reposait Lizzie plus instable que jamais. Si elle s'éveillait, la nouvelle sombrume ne prendrait pas de répit avant de l'avoir tuée.

Faites que Joanne réussisse à l'achever. Et qu'elle s'en sorte indemne.

— Evangeline ! Evangeline, vous devez m'écouter !

Rouge grenade (terminée) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant