30-Amour À L'eau De Rose

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Une fois sortie des appartements, Joanne tomba nez à nez sur le roi —ou plutôt, littéralement sur le roi. Il referma ses bras sur les siens pour la retenir et elle se redressa, un tantinet gênée.

— Il ne faudrait pas que tu tombes... plaisanta-t-il en concluant d'un rire doux. Même si je serai toujours là pour te rattraper.

Il s'était approché pour lui susurrer cette phrase, laissant flotter quelques notes de son parfum sucré jusqu'à ses narines. Bien que son cœur manquat un battement, Joanne ne laissa rien paraître.

— A ce propos, Méridice s'est enfin réveillée, ajouta-t-il, visiblement soulagé. Elle va bien, et dès demain, nous enquêterons sur son empoisonneur.

— Tu... voulais voir Aliénor pour lui annoncer  ? supposa Joanne  en levant un sourcil, puis désignant le quartier des gardes derrière elle.

— Non, en fait c'est toi que je cherchais. Un garde m'a dit t'avoir vu partir par là.

Elle avait entendu cette phrase un bon millier de fois. Car Léo la cherchait tout le temps. C'était peut-être parce que Joanne ne supportait pas l'immobilité, ou parce que le roi tenait à l'informer de toutes les décisions qu'il prenait, jugeant son avis plus précieux que l'or qui teignait sa couronne.

Or cette fois-ci, il glissa sa main dans la sienne et la tira, l'entraina le long d'un couloir de velours à vive allure. Ils enjambèrent des escaliers de pierre et traversèrent la passerelle de verre aux mille éclats. Elle crut qu'il la conduirait jusqu'à sa chambre, où ils avaient parfois l'habitude de discuter jusqu'au petit jour.
Mais elle abandonna cette conviction lorsqu'ils remontèrent un nouvel étage.

Ils s'arrêtèrent finalement devant  un rideau de soie, derrière lequel Joanne imaginait mille et un bibelots entassés. Or elle se trompait :  elle y découvrit le ciel noir, sans vitres, ni toitures et une balustrade de pierre à peine plus haute qu'une table.

— Je dois te montrer quelque chose, lui apprit Léo en relâchant timidement sa main.

En frôlant du pouce sa paume qui avait déjà repris la température d'un glaçon, Joanne regretta sa chaleur. Elle detourna le regard vers un coin du balcon.

Une table avait été dressée, voilée d'une nappe pourpre et d'un mince chandelier d'argent. Pour ajouter un brin de mystère, une cloche dissimulait le plat de résistance au milieu des deux coupes de sang.

La vampire grimaça, déçue. Un dîner aux chandelles, sérieusement ?

— Si tu veux dîner avec moi, c'est trop tard, j'ai déjà bu assez de sang pour toute la nuit, le rabroua-t-elle, en tournant le dos à la table.

En réalité, en buvant, elle avait souhaité oublier le son tapant de l'orchestre, s'occuper l'esprit et s'empêcher de rejoindre la fête. S'empêcher de retrouver Léo. Elle avait fini par réussir, au prix d'un début d'ivresse et d'un besoin primordial d'air frais.

Et maintenant, elle le suivait sous le feu brillant des étoiles.

Pourquoi sombre idiote ?  se morigena-t-elle.

Léo se contenta de débarrasser la cloche métallique, révélant la plus somptueuse des roses. D'un rouge sombre et étincelant, elle semblait taillée dans un rubis.

— Tu...

— Je l'ai cueillie dans la roseraie publique.

Une toute petite parcelle de la roseraie qui ne connaissait pas les saisons, protégée par l'enveloppe  d'une serre enchantée. D'habitude, les vampires l'utilisaient pour fabriquer des remèdes ou coudre des pétales écarlates sur leurs vêtements. Joanne avait beau mépriser les fées, elle reconnaissait que leur style vestimentaire avait de quoi rendre envieux.

Rouge grenade (terminée) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant