48- Papa Maman

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Chris répétait souvent qu'il préférait s'arracher les plumes plutôt que de  poser un pied dans le royaume des gorgones.

C'était un pays gris, où la végétation grimpait en lierre invasif sur la pierre. Des silhouettes figées de frayeur posaient aux côtés de leurs assassines. Les gorgones. Ces créatures monstrueuses aux cheveux d'écailles n'avaient pas non plus échappé au sort qui toucha le monde des ombrumes. Une vaine pour Felia qui, déjà, frissonnait d'effroi.

Leurs crocs aiguisés et leurs yeux si clairs qu'ils paraissaient faits de verre, ne les rendaient pas plus charmantes. Pourtant la courageuse maman était bien placée pour savoir qu'il ne fallait pas juger une personne à son apparence, mais ici elle n'en doutait pas : si ces créatures rompaient leur sortilège, leur chevelure d'écailles serait la dernière chose qu'elle verrait.

— Avancez ! grogna Johnson, on a plus beaucoup de temps.

Le groupe pressa le pas. Ermond, le médecin de la bande, se faufila aux côtés de Félia et lui glissa un poignard entre les mains.

— Là où tu vas, ça te sera utile. On ne sait pas de quoi ces monstres sont capables... et s'ils pourraient se réveiller.

— Là où nous allons tous, rectifia Félia en lui rendant son arme. J'ai déjà un couteau, merci.

Loin de lâcher l'affaire, il se pencha en avant et referma sa main sur la sienne :

— L'autre abruti —Johnson —ne t'a laissé qu'une lame émoussée. J'ai des enfants moi aussi et je ferais n'importe quoi pour eux. Alors va secourir ton fils avant qu'il ne soit trop tard.

Convaincue, elle replia ses doigts sur le manche. Au sein des sangs rouges son histoire en avait ému plus d'un. En elle, tous voyaient une jeune femme optimiste dont le mari fourbe et manipulateur avait kidnappé son enfant. Personne ne l'avait blâmée pour sa naïveté sans se douter une seconde que cette histoire n'était qu'un outil de trahison.

Elle en culpabiliserait presque.

— Et toi ? demanda-t-elle.

— On va bientôt quitter ce monde de malheur. Johnson nous mène droit dans un mur. Certains lui font confiance... mais ils retourneront leur veste : d'ici ce soir, nous rebrousserons tous chemin et... nous rentrerons enfin à la maison.

Il jeta un coup d'œil vers le nouveau chef de la bande qui grognait comme un grizzly, effrayé du moindre craquement de branche.

— Alors fais vite ! Laura t'attend, et elle attend aussi son frère. Je ne pourrais pas convaincre les autres de patienter éternellement.

Felia hocha la tête, et bifurqua au premier carrefour. Le groupe s'était plus ou moins fait à l'idée que Rémi ne reviendrait jamais.

Sur les nerfs, Johnson avait fouillé, retourné et pillé la tente de son bien aimé supérieur à la recherche d'indice. Rémi était très secret : il ne partageait que des directives tardives, des noms de lieux ou d'artefacts magiques.  Moins les sangs rouges en savaient, plus Rémi se saurait tranquille si l'un d'eux tombait entre les mains des ombrumes.

Alors Johnson avait dû monter ses ordres sur des suppositions. Il avait retenu l'existence des Sombrumes et avait conclu qu'en créer une éradiquerait une bonne fois pour toutes ce monde qui l'horrifiait tant.

Il avait retrouvé une vieille carte, les menant aux frontières du royaume des phénix. Mais Felia ne s'inquiétait pas : pour entrer dans ce jardin en ruine, il leur fallait une clef.
Une clef qui n'existait plus, à présent. Ermond avait raison :  dès ce soir, les sangs rouges s'apprêteraient à retourner dans leur monde, bredouille.

Rouge grenade (terminée) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant