Rouge grenade (terminée)

5- Que La Vérité Éclose (2/2)

— Est-ce vrai, commença Selena d'une voix chevrotante... est - ce vrai que notre monde court un grand danger ? 

Aussitôt, la grotte se noya dans un éblouissant flot lumineux, ce qui obligea la princesse à fermer les paupières. Lorsqu'elle recouvra la vue, des arcs-en-ciel tourbillonnaient le long de la surface métallique, et reflétaient une myriade d'images aléatoires, comme si l'histoire entière des ombrumes lui était contée.

Des flammes ardentes, un monstre cornu couvert de cicatrices, des bulles d'eau nacrées s'échappant de la rivière, des lianes tressées assez solides pour étouffer les plus imposantes créatures, des fées naissant, des elfes bandant leurs arcs, des vampires s'abreuvant de fragiles proies animales et au milieu de tout cela, un puits. La vision les amena à s'y jeter. Alors, un tableau noir se saisit de l'écran, laissant l'imagination sordide de la fantôme s'emballer.

A quoi pouvait bien ressembler un humain ? Avait-il des crocs, de la bave au menton, une épée ou une torche à la place du bras ?

Prise d'appréhension, elle aggripa la main de son petit ami, et souffla lentement.

Lorsqu'au centre du miroir, un homme apparut enfin, le cœur de Selena doubla sa cadence. Craignant d'abord qu'il ne soit une ombrume, la peur de voir ce pauvre garçon souffrir la tenailla. Mais, au fil des secondes, elle comprit qu'il s'agissait bien d'un humain. Il a l'air si... normal, s'étonna-t-elle.

Mieux encore, l'homme dégageait quelque chose de familier. Elle jurerait avoir déjà vu son visage quelque part. Toutefois, avant qu'elle ne puisse lui coller un nom, quelqu'un lui pressa la main : Archie était-il aussi tendu qu'elle ?

Soudain, l'humain  prit la parole :

— Johnson, dépêche - toi un peu ou ce n'est pas à l'aube qu'on traversera mais au crépuscule prochain. Dois-je te rappeler qu'avec tous les vampires qui y rôdent, c'est une très mauvaise idée ?

Cette voix, en revanche, ne lui disait strictement rien. Elle était méprisante et autoritaire, rappelant parfois les ordres du roi Ivan. En pire. En face, entre outils aiguisées et malles pleines à craquer, un nouvel humain, coiffé d'une chevelure blond platine, entra dans le cadre du miroir. Il tremblait. Pourtant, le premier homme n'avait pas asséné un seul coup, ni prononcé une insulte. Rien que sa présence suffisait à faire pâlir son associé. Sûrement le chef des humains, en conclut la princesse en fronçant les sourcils.

— En fait, je me disais... que... ce voyage pourrait attendre, tu ne penses pas ?

— Attendre qu'on ait quatre-vingt ans et un déambulateur pour passer le portail, railla le supérieur. Déjà que nos chances de survie sont faibles maintenant...

Je ne te le fais pas dire, songea Selena, en étirant un petit sourire.

— Non, je veux dire, ma fille a encore besoin de son père, au moins jusqu'à sa majorité, et ma femme... je ne supporte plus de lui mentir, continua le dénommé Johnson, la gorge nouée. Si je ne revenais pas, elles seraient anéanties.

Loin de s'emporter comme Selena l'aurait cru, le brun conseilla à son subalterne de s'asseoir. Il prit à son tour un siège. Ses doigts blancs pianotèrent un instant contre l'accoudoir,  jusqu'à ce les paroles ne plurent de sa bouche.

— Une petite réticence ? Je comprends. On aurait pu douter de ta parfaite condition mentale si tu partais serein. Comment t'en vouloir ? Je ne t'ai jamais caché que le monde où nous allons est hostile, dangereux et difficile. Mais j'y ai moi même passé quelques temps durant mon enfance et regarde, je me tiens debout devant toi.

Il sourit, avenant, et poursuivit :

— Je n'aurai jamais d'enfants, je ne peux donc pas savoir ce que tu ressens. Si tu ne le sens pas, je ne t'obligerai pas à partir avec moi. Clémence et Maddy sont ce que tu as de plus précieux. Les quitter demande un courage édifiant, je t'ai peut-être surestimé. Après tout, tout le monde n'a pas l'étoffe d'un héros.