Interlude : Un Homme Étrange

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Les carreaux laissaient entrer les rayons du soleil levant, laissant des teintes d'ambre et de quartz se chevaucher, s'étendre et se mélanger dans un tableau de contes de fées.

Petit, Bastien rêvait de parcourir les nuages à bord d'un jet privé, ou d'un avion de chasse, aussi vifs que ceux lancés le 14 juillet.

Depuis, il avait enterré ses rêves en notant que les longs voyages lui donnaient la nausée. Toutefois, il se rappelait toujours que la beauté du ciel le fascinait.

— Déjà réveillé ? moi qui croyais qu'un humain avait besoin d' au minimum douze heures de sommeil.

— Vous... devez confondre avec les chats, répliqua le quadragénaire sans comprendre qui lui avait adressé la parole.

Des vilaines  courbatures lui serraient les jambes comme s'il venait de courir un marathon sans s'étirer. Il posa sa main sur le matelas d'une douceur cotonneuse exceptionnelle.

Était-il mort ?
Il doutait que l'au delà comporte des fenêtres aussi mal entretenues. Le cadre de bois craquelait comme s'il était fait d'écorce. Il tendit la main pour l'effleurer. Au temps pour lui, il s'agissait effectivement d'écorce.

— Peut-être. Je ne suis pas calée en animaux. D'ailleurs, je ne pourrais pas vous dire en quoi ce chevalier vous avait transformé.

Bastien se redressa, et elle apparut. Ses grands yeux rappelaient le ciel qui plafonnait souvent Rabbit hole dès l'arrivée du printemps. Des ondulations rousses dépassaient de son chignon, et son uniforme —gravé de l'insigne des Blueheart que Lizzie avait tant reproduit —était tâché d'encre verte. Elle paraissait à peine plus âgée que lui, bien que dans ce monde extravagant l'âge physique puisse être trompeur.

— Qu'êtes vous ?

Il avait voulu dire qui, mais sa langue avait fourché.

— Une sorcière... et une amie.

Il pencha la tête vers la droite, dubitatif.

— Une amie ? De moi ?

Elle haussa les épaules.

— C'est possible. On raconte de grandes choses sur vous. Vous vous êtes battu contre vos semblables avec force et bravoure.

En entendant cela, Bastien ne put s'empêcher de pouffer de rire.

— Moi, un héros ? Je ne me souviens même plus de ce que j'ai fait hier. Ou durant les jours qui ont précédé.

— Moi non plus, je n'y croyais pas, avoua la sorcière mêlant dans son expression malice et complicité, mais si vous voulez mon avis, une bonne rumeur est bonne à prendre.

Son sourire avait l'éclat d'un diamant.
Et même si Bastien se posait encore mille questions, il croyait dur comme fer qu'elle parviendrait à l'éclairer un peu. Il essaya de se tirer de son lit—un nuage en réalité —,elle l'y aida.

— Si vous pouvez marcher, je peux vous proposer de faire un tour dans les couloirs. La magie a un très mauvais effet sur les muscles, les vôtres d'autant plus.

Il aurait voulu rétorquer que la nature humaine y était sans doute pour quelque chose —du moins que son corps n'était plus celui de ses vingt ans, mais elle saisissait déjà son bras et ils quittèrent la salle.

Un décor de velours pourpre encadrait leur chemin, ornant les murs de portraits de la famille royale. Lizzie apparaissait sur certains d'eux, une mine timide arrangeant ses traits.

— Dites, osa-t-il enfin demander, que m'est-il arrivé ? Vous avez parlé de transformation tout à l'heure ?

S'arrêtant dans sa marche, la sorcière le dévisagea.

— Longue histoire...soupira-t-elle, je ne pense pas être la mieux placée pour vous raconter.

Il dut tirer une moue dépitée, puisqu'elle se reprit.

— Mais je peux toujours essayer. Qui sait ? je suis peut-être plus douée pour relater des faits que pour en apprendre sur la nature humaine.

C'est ainsi que Bastien ne comprit pas un traître mot de ce qu'il lui était arrivé, bien qu'il passat la plus paisible — merveilleuse et étrange —journée (dans le monde des ombrumes) de sa vie.


Rouge grenade (terminée) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant