Interlude : Ce Qu'il N'était Pas

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Bastien avait fini par se réveiller de son sommeil d'ange. Il n'était pas attaché, comme le chef de l'organisation l'avait demandé. On lui avait servi un verre d'eau, et un bol de pâtes déshydratées.

Personne n'avait interrogé Rémi sur le moyen qu'il avait utilisé pour allumer la bouilloire. Tout comme personne n'avait eu l'audace de se questionner sur son courage face aux ombrumes qu'ils avaient affrontées.

Rémi avait fait attention de ne pas engager d'esprits trop curieux. Sauf un.
Felia Jones. Parce qu'il avait besoin d'elle, et qu'elle avait besoin de lui.

La colère l'avait changée. Elle ne souriait plus devant le miroir, en se chantant des messages tout droit sorti d'ouvrage de dépassement de soi. Elle ne préparait plus de bons petits plats à ses enfants, puis à ses collègues lorsqu'elle en avait trop fait. Elle croulait sous les taches, s'endormait parfois sur son plan de travail sec.

Rémi avait voulu manier cette colère,  cet estime terne de la vie pour la manipuler, l'engager dans ses rangs. Felia détenait des informations précieuses en ayant côtoyé son stupide phénix, alors Rémi avait laissé traîner le numéro de contact des sangs rouges dans son sac.

Il en avait oublié son plus grand défaut : la curiosité.
Felia avait découvert son secret, et maintenant, elle détenait l'avantage.

Si leurs intérêts coïncidaient pour l'instant, Rémi craignit que la jeune mère ne puisse faire preuve d'autant de froideur devant son époux. Et s'il parvenait à ranimer cette flamme  éteinte ? Et si elle retournait sa veste par amour pour son garçon ?

Rémi et elle avaient convenu un accord : qu'il mettrait tout en œuvre pour retrouver l'adolescent disparu. Au fond de lui, l'humain ne désirait pas le blesser. Il était comme lui après tout : semi-ombrume et malchanceux.

La porte grinça quand il l'ouvrit, serrant l'anse d'une bouilloire dans son poing crispé jusqu'aux jointures .

— Tu n'as rien bu ? remarqua-t-il d'une voix plus douce.

Bastien le fixa longuement en silence. Il n'était pas blessé, ni malade— Rémi s'en était assuré en prenant sa température et vérifiant toute trace de crocs sur son cou. Pourtant, ses lèvres s'étaient teintées d'un étrange mutisme depuis son réveil.

— Écoute Bat', je ne voulais pas te faire du mal. Bien au contraire. Je voulais te sauver, te sortir des griffes de ces vampires !

— Ce sont mes amis ! grogna-t-il la gorge sèche avant de toussoter. Lizzie n'a jamais rien fait de mal, et tu as essayé de la tuer.

Rien fait de mal ? Il peinait à y croire, se remémorant les flammes, sortant des mains de cette monstrueuse fée , qui avait manqué de l'incendier.

— C'est ce qu'elle te fait croire. Un jour ou l'autre, elle se débarrassera de toi. Tout comme les autres vampires. Tu n'es qu'un otage à leurs yeux. Pourquoi crois-tu qu'ils te gardent en cage comme un animal ?

Il pensait avoir touché un point sensible, avoir trouvé la faille, la petite étincelle pour réveiller son ami de cette manipulation ombrumienne. De ce rêve illusoire dans lequel cette peste de Lizzie l'avait plongé.

— Tu mens. Ou tu t'obstines à croire à un mensonge. Je ne sais pas pourquoi tu les hais tant...mais si tu continues, tu vas mourir, Rémi. Tu vas mourir. Et... ce n'est pas ce que je veux. Ni pour toi, ni pour aucun humain. Sauve ta peau avant qu'il ne soit trop tard.

Rémi inspira, contrarié, et peiné.

— Je te le promets, je ne mourrai pas.

L'océan des yeux de Bastien se plissa.

— Tu n'es pas humain, pas vrai ?

En toute rigueur, non il n'était pas humain. Pas complètement. Mais sorti de la bouche de son plus précieux ami, il considéra cette vérité comme une insulte. Car elle lui rappelait qu'un sang bleu brûlait, caché dans ses veines.

Et il détestait ça.

— Qu'est ce que tu es, Rémi ? poursuivit Bastien, d'une cruelle insolence.

Ce qu'il était ?

Il n'était pas vampire—et dieu l'en preserve —, pas fée non plus. Il n'était pas fantôme bien que ce fut de loin son déguisement favori. Ni sorcière, ni elfe.
Il ne portait ni corne, ni queue de poisson, ni écaille. Et aucune fourrure ne le couronnait, sauf quand il le désirait pour se protéger du froid.

— Qu'est ce que tu veux ?

Ce qu'il voulait ?

La paix.
La justice.
La vie.

Comme tout homme.

— Rémi ! réponds-moi!

Il ne manquait pas d'ambition, de courage, d'idées.
Il lui fallait juste des alliés. Des gens pour le soutenir.

— Es-tu avec moi... ou contre moi ? demanda-t-il seulement.

Bastien s'enfonça un peu plus  sur son fauteuil. Ses poings se serrèrent sur les accoudoirs de velours, et son regard s'obscurcit.

— Si tu veux t'en prendre à mes amis, mes vrais amis, alors je serai contre toi.

Mauvaise réponse.

— Je ne voulais pas en arriver là... mais tant pis pour toi, siffla-t-il et au regard paniqué que lui lançait Bastien, il comprit que son ami le prenait pour un dément.

Qu'il en soit ainsi.
Il ferma la porte à clef, d'un geste maîtrisé et se concentra.

Ce serait rapide.

Peu douloureux.

Réversible— bien qu'il n'ait jamais réellement essayé.

— Je suis sincèrement navré, s'excusa-t-il en fermant les paupières.

Des sifflements s'étendirent autour de sa nuque, rampant. Il utilisait rarement cette magie, car elle lui demandait beaucoup de concentration et d'énergie.

Mais Bastien se trouvait dans son repère. Et il aurait tout le temps de se reposer... avant la tombée de la nuit.

Il rouvrit les yeux.
Bastien hurla à peine.

Et son méfait accompli, Rémi détourna  le regard. Discret, il passa la porte de sortie, en espérant ne croiser aucun miroir.
Car il avait conscience de ce qu'il risquait de voir.

Ce qu'il n'était pas.

Un monstre.

Rouge grenade (terminée) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant