Rouge grenade (terminée)

47 - Rentrer À La Maison

— Pour la dixième fois, père, je ne suis pas folle ! Les fées existent, les dragons aussi et vous ... vous êtes un fantôme et leur roi !

Les sourcils en arc, Ivan posa d'un geste prudent le dos de sa main sur le front de Selena qui rugit pour s'en dégager. Si la jeune princesse avait accepté de jouer la comédie pour sortir de sa prison blanche, elle s'était immédiatement révélée en arrivant dans son manoir. Grave erreur. Elle qui croyait dur comme fer que son père mentait pour s'en sortir, il était de loin le plus bouché d'entre tous.

— Écoute Léna, tu as failli mourir. C'est normal d'être un peu choqué. Tu as toujours eu beaucoup d'imagination, alors le coup sur la tête a peut-être ...

— Arrêtez de me parler comme si j'étais sous l'emprise d'un sort ! Je ne suis pas folle, c'est vous qui... qui avez tout oublié, balbutia-t-elle au bord de la crise de nerfs.

Archie n'était pas plus réceptif. Elle l'avait surpris à monologuer, un miroir magique collé à l'oreille. Il discutait d'elle avec une certaine Laura, et quand il prenait la peine de venir s'enquérir de son état, il arborait toujours cette mièvrerie qui ne lui ressemblait pas. Il était trop... prévenant. Par la lune ! Était-elle subitement devenue un démon sur le point d'exploser ?

— Je vais appeler le docteur Enilegnav, elle saura quoi te conseiller, soupira Ivan en resserrant la bannière tricolore qui lui ceignait le corps. En attendant, tu veux regarder un film ?

Le docteur Lysa Enilegnav n'était autre que la reine des fées. Selena avait bondi de joie en la rencontrant : si son père doutait parfois de sa parole, sa grande tante, elle la soutenait toujours.
Excepté dans ce monde.

La femme avait été plus fermée qu'une géode de cristal.
Sur son divan de velours, la docteure s'était contentée de lui poser des questions, et de noter des mots sur un carnet. Selena supposa qu'elle ne l'avait pas écoutée.

Et petite, tu lisais beaucoup de contes de fées ? avait-elle demandé comme si ses livres de cours avaient eu un quelconque rapport avec l'amnésie soudaine du monde où elle était entrée.

La princesse avait répondu à toutes ses questions. Elle les avait gardées à l'esprit et recopiées sur un papier, pensant naïvement qu'un code secret s'y cachait.

Rien.

Elle avait guetté la boîte aux lettres, tâté les murs et claqué sa porte dans un accès de colère. Ici, les passages secrets, les téléporteurs ou les puits enchantés n'étaient qu'une légende, mais la pommade anti bosses et bleus une nécessité. Selena ne comptait pas le nombre de placards que sa tête avait cognés.

— Je ne veux pas de "film", et je ne veux voir personne ! rugit-elle le regard visé sur ses cuisses et le vêtement bleuâtre qui les recouvrait.

— Ma chérie, insista Ivan, Lysa te connaît depuis que tu es toute petite. Elle a beaucoup d'expérience et... tu n'es pas la première à inventer un monde imaginaire. Tu as fait des progrès depuis la dernière fois, tu ne trouves pas ?

Selena serra les poings. Que devait-elle faire pour être crue, bon sang ?

— Je dois te laisser, l'informa son père en consultant sa montre. Mais promet moi que tu laisseras une deuxième chance à ta psychologue.

— D'accord, mentit Selena pour que son père -ou le farfadet métamorphe qui prétendait l'être -la laisse tranquille.

— Je t'aime ma chérie, lui apprit son père en se levant, et lui adressant un bisou sur le front.

Ces mots lui firent l'effet d'un baume sur le cœur. En trois jours ce père factice lui avait adressé plus d'affections que le roi Ivan durant toute sa vie.