57- Le Grand Départ

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Le deuil de la  forêt des elfes s'était achevé dès l'arrivée du printemps.

Le passage de la Sombrume n'était plus qu'un lointain rêve et déjà au creux des troncs secs, les animaux murmuraient. Assise sur un banc, Aliénor laissa ses jambes se balancer.

—... Et Joanne a allumé un cierge en ton honneur juste au-dessus de l'autel. Voilà tu sais tout, conclut-elle en redressant une feuille d'or qui semblait s'être tordue sur la branche.

Habiter la forêt des mirages détenait un grand avantage : celui de parcourir le monde des ombrumes sans s'échapper des bois. Dans l'eau enchantée qui y circulait, Aliénor parvenait à observer le passé —et surtout le futur de ses amis. Elle n'avait par exemple pas loupé une miette du somptueux mariage de la reine Joanne et du roi Léo, à défaut de ne pouvoir y assister.

 Une coupe de cristal remplie de dragées de sang, ou de sucre, avait été offerte à chaque invité. Des sièges d'or quadrillaient le sol de la plus haute chapelle du royaume des vampires. Des pétales de roses habillaient l' allée d'honneur comme un tapis écarlate, pour mener la ravissante mariée jusqu'à l'autel, aux bras de son frère. Sous le chant de l'orgue et les milles chandelles, elle rayonnait , vêtue d'argent et coiffée d'or.

La foule les avait applaudi et avant que le prêtre n'ait achevé son discours, la reine avait embrassé son époux, les iris rougis d'amour.

— Tu aurais adoré le mariage ! sourit Aliénor.

Le vent fit acquiescer la plante, et la jeune vampire garda l'espoir que sa chère elfe avait voulu lui répondre.

Elle avait beaucoup pleuré sa mort et encore aujourd'hui son amie lui manquait. Elle se sentait responsable : elle l'était sans doute un peu. Mais elle tentait encore à la protéger.  Alors, lorsque la forêt des elfes s'était embrasée, elle s'était faufilée près de la jeune pousse pour l'écarter des flammes aussi longtemps qu'elle le put .

Ensuite, à l'aube, l'un de ses plus fidèles amis de la forêt des mirages, Scorpion — une main que beaucoup qualifieraient de difforme— avait pris le relai.

Meri n'avait pas manqué d'eau, et elle ne manquerait jamais de rien. Aliénor le lui avait promis.

Aujourd'hui, deux mois après l'incident, elle continuait de lui rendre visite au moins une fois par semaine. Scorpion et Gémeaux venaient aussi, chacun avec leur pouvoir particulier. Le premier offrait le soleil et la chaleur —bien qu'il soit tout à fait capable de porter un seau d'eau de ses doigts agiles. Le second invoquait l'eau claire des ruisseaux, pour remplir le seau de Scorpion .

— Mademoiselle Wonder, l'appela un garde, votre temps est écoulé.

 Aliénor avait été bannie du royaume des vampires. Ses seules visites étaient autorisées pour Méridice, qu'elle pouvait atteindre aussi bien en passant par la forêt des elfes qu'en parcourant la cour du palais vampirique.

Or la vampire aimait la compagnie de ses semblables, même si elle lui valait des menottes en onyx et un garde pour la surveiller. Gauthier était un ami : il râlait un peu pour la forme, mais si elle requérait cinq minutes supplémentaires, il les lui accorderait avec joie.

— J'arrive ! l'informa-t-elle en saluant de la main son amie elfe. À bientôt, Méri.

Aujourd'hui, pas question de désobéir aux ordres car les humains repartaient chez eux.

Par miracle, le roi Ivan avait accepté un délai de deux mois —et les autres rois saluant la bravoure de Bastien et Félia ne n'y étaient pas opposés. Quant à la jeune princesse, Selena, elle avait quitté la maison de son père pour étudier dans la plus prestigieuse école de magie qui soit. Elle voulait apprendre à se maîtriser, et gérer sa colère, paraît-il.

Rouge grenade (terminée) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant