44-Lune Et Bastien

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En se frottant les mains pour se réchauffer un peu, Felia jeta un œil à l'assiette creuse qui se tenait devant elle.

La viande n'était pas un luxe auquel les sangs rouges pouvaient prétendre quotidiennement. Ils ne dévoraient pas non plus beaucoup de légumes frais, et sans Rémi les conserves se dégustaient froides, au même titre que les pâtes et les repas instantanés.

Ils avaient bien essayé de faire du feu, mais entre les brises désagréables de l'hiver et l'humidité vivace, aucune flamme ne subsistait bien longtemps.

D'un geste fébrile, la chimiste délivra un filet de dinde de son étui plastifié. Elle l'avait trouvé par chance, en fouillant les affaires du chef de la bande.

Peu importe s'il s'en rend compte. En me criant dessus, il avouerait ses privilèges.

En son absence, des tensions s'étaient créées au sein des sangs rouges : beaucoup le pensaient mort, dévastés de ne plus recevoir de nouvelles. La veille, Edna - lèche botte sans faculté particulière -avait menacé Tom d'une balle en pleine tête. Felia l'avait arrêtée à temps, tandis qu'Ermond-le responsable santé -lui avait rappelé qu'un otage en vie restait plus précieux que des cendres de vampire.

L'humaine ferma les yeux un instant et se reconcentra sur la viande qu'elle trancha en deux avec un poignard.

Son ventre gargouilla : elle avait sauté beaucoup de repas dernièrement, notamment pour surveiller le gentil vampire, et limiter son mauvais traitement.

Laura se serait offusquée qu'elle mange si peu, elle qui l'avait toujours habituée aux plats les plus succulents.

À cette pensée, la maman sentit son cœur se serrer. Sa fille, son fils et son mari lui manquaient cruellement.

En tout et pour tout, elle n'avait rencontré Christian qu'une fois, durant son voyage.

Ou plutôt, elle avait découvert sa statue. Contrairement aux fées et aux fantômes qu'elle avait croisés, aucune marque d'effroi n'avait enlaidi son si doux visage.

A côté de lui, mangeait une femme assez âgée, que Felia imagina être la grand-mère d'Archie et un pot-au-feu refroidissait au dessus d'un tas de charbon. Découvrir cette
scène lui avait réchauffé l'âme.

Christian ne manquait de rien, à en juger par ses muscles saillants, sa tunique de coton propre et sa mine radieuse.

De l'autre côté du mur, Archie possédait sa propre chambre : petite, gravée de flammes sombres et désordonnée, Felia reconnaissait bien là l'esprit rebelle de son jeune garçon.

Elle avait surpris sur un meuble blanc des boules de papier froissé, qui renfermaient des mots doux et des poèmes. Elle n'avait pas eu besoin de plus pour comprendre : son enfant était tombé amoureux d'une ombrume de son âge, si fort qu'il osait la surnommer "sa princesse".

De sa visite, Felia n'avait emporté qu'une chaîne de fer, celle dont Christian ne s'était jamais séparé. En échange, elle avait laissé son alliance, annonçant son passage.

Elle l'avait embrassé sur le front, et s'était éclipsée de peur qu'un des sangs rouges ne remarque son absence.

Je reviendrai, Chris, je reviendrai te voir, pensa-t-elle en glissant la chaîne entre ses doigts poisseux.

- Qu'est ce que tu fais ?

L'humaine tréssauta, le couteau lui échappa des mains et rebondit contre le meuble de bois. Elle toussota, gênée par la pollution extérieure qui entra dans la tente. Le repaire avait été monté au beau milieu des ruines des chevaliers. Là où l'air était à peine respirable, embrumé par la poussière, les cendres et les derniers vestiges d'os, là où Rémi puisait ses forces.

Rouge grenade (terminée) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant