29- Sans Consentement

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On la disait observatrice.

Et c'était sans doute la plus grande qualité de Joanne.

Ses yeux perçants regardaient, dévisageaient.

Ses oreilles fines écoutaient, comprenaient.

Son cerveau concluait.
Et lorsque tous ignoraient, elle savait.

Mais elle n'avait pas toujours été comme ça. Petite, elle se souciait peu des problèmes des adultes.
Elle préférait la politesse, les bonnes manières et le silence. Son père répétait que les oreilles baladeuses feraient mieux d'être tranchées—et Joanne avait souvent craint pour les siennes.

Sa mère, elle, pensait que chacun devait garder un jardin secret. Un monde à lui, une bulle où se rendre. Les gens ne sont souvent pas discrets, mais tu dois leur faire penser qu'ils le sont. C'est le meilleur moyen de ne pas s'attirer d'ennuis, lui avait-elle un jour appris.

Lady Mirror avait longtemps travaillé au palais en tant que gouvernante, et elle savait mieux que quiconque se faire obéir. Joanne croyait, enfant, qu'elle avait été une princesse, et  l'admirait pour cela. C'était une femme douce, qui n'élevait jamais la voix sans manquer de capter l'attention.

Chaque année depuis sa funeste disparition, Joanne déposait des roses sur sa tombe. Elle restait à ses côtés, à pleurer pendant des heures et des heures. Même lorsque le ciel accompagnait ses larmes, la vampire ne bougeait pas, recroquevillée sur elle même, la tête lourde et la chevelure glacée.

Il lui arrivait de revenir juste avant le petit matin, la peau brunie par l'aube. A la maison — trop grande pour deux vampires — son père, rarement touché par sa détresse, ne lui adressait jamais un regard.

C'est pourquoi elle retournait bien vite dissoudre son chagrin dans la boue et les pétales de roses fanées de la roseraie des vampires. Ce lieu était devenu son jardin secret, sa bulle à elle. L'hiver, le jardin se murait dans un silence  si paisible que Joanne s'y s'endormait quelques fois. Elle posait sa tête contre une butte de terre sous l'ombre des branches mortes et sombrait, sans savoir si elle se réveillerait avant le soleil.

Généralement, elle y parvenait : engourdie ou frigorifiée, ses pieds finissaient par la ramener devant sa porte.

Mais un jour, alors que l'herbe était recouverte de givre et que la terre traçait un oreiller idéal, quelqu'un l'avait tirée de son sommeil.

— Je... ne voulais pas vous effrayer. Je... voudrais juste un peu de sang... Par pitié.

— Du... Du sang ? avait-elle répèté, un peu groggy, en lorgnant du coin de l'œil sur la poche planquée dans son sac... avant de la lui tendre.

Elle aurait pu s'arrêter là, rendant service au premier mendiant croisé. Ils se seraient quittés, sans bruit, telles des ombres. Au fil des nuits, Joanne aurait fini par oublier son visage, à défaut d'ignorer son nom.

Pourtant, tandis que l'inconnu dévorait avidement son maigre repas, Joanne s'était surprise... à l'observer.

Les cheveux sales, les yeux écarlates et la peau jaunie, il tanguait d'un pas hesitant, se retenant tant bien que mal au tronc d'un arbre humide. La vampire reconnaissait bien ses symptômes : de nombreux vampires croisés sur le chemin du marché, trahissaient les mêmes visages... et s'éteignaient une semaine plus tard.

— Excusez-moi, depuis combien de temps n'avez-vous pas bu de sang ? avait-elle  demandé en levant légèrement le bras pour désigner la poche, vide et salie de traces rouges.

Il mit un peu de temps avant de répondre :

— Je... ne m'en souviens pas. Je crois... que jamais. Pas celui d'une... Ombrume ou d'un humain en tout cas.

Rouge grenade (terminée) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant