36- Le Château De Cartes

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🐣
Chapitre qui aurait pu être un interlude 😄
Mais beaucoup trop important (parce que oui, les interludes sont facultatifs 😉)
Bonne lecture ❤️

***

— Rémi, ouvre ! S'il te plaît !

Aliénor ne savait plus depuis combien de temps elle s'acharnait sur la poignée de la porte, frappait de ses mains légères le bois, ou griffait les murs de ses ongles noirs... Mais elle se sentait sur le point d'abandonner.

Sauf qu'elle ne pouvait pas se le permettre.
Un mauvais pressentiment l'avait gagnée, en ressassant les derniers mots de son ami :"pour ce que je compte faire j'ai besoin de temps...".

Et il l'avait obtenu ce temps : en plaquant un pansement d'onyx sur son cou, il l'avait privée de sa force surnaturelle, scellé la porte et ravivé en elle une  panique des plus mordantes.

Mes pouvoirs vont revenir, mes pouvoirs vont revenir, se répéta-t-elle, mortifiée sans arrêter de frapper.

Quelqu'un finirait par l'entendre.

— Ouvrez-moi ! s'époumonna-t-elle en tambourinant les deux poings contre le mur.

Or personne ne sembla l'entendre. Pas au beau milieu de la nuit quand tous les gardes étaient sortis.

Aliénor avait été stratégique  pour choisir sa chambre : elle l'avait demandée isolée,  conservant ainsi une pincée d'intimité.

Résultat, Méridice avait exaucé son souhait... et il se retournait aujourd'hui contre elle.

Méri... Si tu m'entends, ouvre moi !

Elle avait retourné sa chambre de fond en comble, à la recherche d'un double des clefs. En vain.

Ses pouvoirs allaient revenir.

Calme toi, Aliénor.

Elle souffla.

Avant, un jeu savait la rassurer.

Monter un château de cartes. C'était un exercice que lui avait appris Rémi. Il demandait de la patience, de la persévérance et de l'équilibre.

« La base doit être la plus solide de la structure, lui avait-il un jour expliqué devant un vieux tarot, ou ça  ne tiendra jamais. Comme nous deux, nous devons avoir la relation de confiance la plus forte avant d'entreprendre quoi que ce soit. Je veux pouvoir te connaître, et savoir ce à quoi tu penses, comment tu agis. Tes points faibles et... surtout tes forces.  »

Il l'avait hypnotisée, enroulant sa main autour de son bras, encore trop mince pour les combats.

Depuis, elle avait écouté son conseil et appris à le connaître par cœur.

C'est pourquoi, elle craignait d'avoir deviné ce qu'il préparait.

« Ensuite, il y a le milieu. C'est la que tout peut commencer à vriller. Là où les cartes commencent à se tenir les unes aux autres. C'est l'élaboration du plan et le début de son exécution. Quand viendra ce moment, tu seras entraînée mais tu ne seras prête à rien. Encore instable, comme cette dame.  »

A titre d'exemple, il avait renversé la carte de  cœur, et chamboulé toute la base.

« Cette étape peut être la plus longue. Il ne faut pas hésiter à ajouter des étages, des étapes. Plus longtemps, tu te tiendras à leurs côtés, moins ils se méfieront de toi.  »

Ça avait même bien trop marché. Aliénor s'était attaché à eux, à tous. Un détail que Rémi  n'avait sans doute pas anticipé.

« Et enfin le sommet. Il se doit d'être pensé à l'avance. Sois précise, concentrée et minutieuse. Le mieux est d'y parvenir en une fois pour ne pas recommencer   »

La première fois, alors qu'elle avait atteint tous les niveaux sans embûches et qu'il ne lui restait qu'une simple carte à placer, Aliénor avait vu sa pauvre sculpture de papier écrasée par le poids du vent et de sa maladresse.

Mais Rémi ne l'avait pas sermonnée. Au contraire, il paraissait satisfait de son erreur.

« Parfois, il arrive qu'un détail nous échappe, ou qu'un imprévu survienne. Dans ce cas le mieux est encore d'improviser.  De tricher. Tu restes maîtresse du jeu. »

Avec un sourire malicieux, il avait délivré d'un coffre de bois un nouveau château, immobile, dont les cartes avaient été  soudées les unes aux autres par de la colle.

Jamais Aliénor n'oublia cette leçon.

Mais elle ignorait à quel étage de l'édifice, elle se situait.

Et s'il était encore possible pour elle de faire machine arrière.

Soudain, ses pouvoirs revinrent, et la serrure de la porte céda. Elle ne s'occupa pas de constater les dégâts, et courut à travers les couloirs.

Il faut que je la retrouve ! pensa-t-elle, le souffle saccadé.

A tout prix.

— Méridice ! hurla-t-elle. Méridice !

Une pièce brillait, éclairée par un millier de chandelles. Là où une hache et une branche de lierre étaient suspendues à la porte.

La chambre de Méri...

Elle était entrouverte. On y entendait des sanglots, des éclats de voix, des désolations.

Le Cœur d'aliénor redoubla de cadence.
Elle passa l'embrasure.

Mademoiselle Mirror se retourna brièvement vers elle, le visage éteint. Près d'elle, le roi Léo était assis à terre, la tristesse lui secouait les épaules. Il grimaçait de douleur, anéanti. Sa couronne avait chu. Un sang bleu tachait ses mains, et sa veste de soie.

Mais il ne s'en dégageait pas. Il étouffait ses pleurs, cajolé contre les épaules  de sa conseillère qui, elle aussi, n'en menait pas large.

Pire que tout, Aliénor découvrit la raison de ce chagrin.

Et son propre château de cartes s'effondra.

Le monde se couvrit d'un voile noir.

Car, gisant entre les bras de son demi frère, Méridice reposait, un trou béant dans la poitrine.










Rouge grenade (terminée) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant