Nouveau souffle · Nekfeu

Chapitre 22

Inès

La mâchoire serrée, je sors les deux plateaux en bois du placard. Si on m'avait dit hier matin à l'aéroport que je dormirai aussi mal cette nuit, je pense que j'aurais ri. Parce qu'en vérité, je voyais pas ce qui aurait pu mal tourner dans la journée que je m'apprêtais à passer.

Vol en avion privatisé avec toute la ménagerie de mon frère, petite maison tranquille en plein milieu de la campagne japonaise, mes deux meilleures amies avec moi. Qui se plaindrait à ma place ? Sûrement pas grand monde.

Pourtant, quand je pose les tasses de thé fraîchement préparées sur le plateau, mes mouvements sont un peusecs. Et je crois que un peu, c'est un large euphémisme. Ce serait pas étonnant qu'une des tasses en porcelaine fine finisse par craquer entre mes doigts.

C'est sûrement mes nerfs, ils ont pas eu beaucoup de repos cette nuit. J'ai pourtant la chance, contrairement à la plupart des gars dans la maison, d'avoir une chambre au lieu de dormir dans le dortoir. Toutes les conditions étaient théoriquement réunies pour que tout se passe bien.

Si y avait pas eu la scène de hier soir dans la même cuisine où je me tiens actuellement. Plus les secondes passent, plus chaque sensation revient m'habiter. Ses mains, son souffle, sa voix. Ça me quitte pas.

Mais j'ai pas mal, ça m'a pas fait mal. Ça m'a pas fait mal. Je suppose que j'aurais juste jamais dû faire ce que j'ai fait, c'était une connerie. Pendant un court instant hier, j'ai cru que j'avais enfin vu dans le regard d'Hakim ce que je rêve de voir depuis que j'ai 16 ans. J'ai juste été assez conne pour y croire, il en a rien faire. Il s'est barré aussi vite qu'il est arrivé.

Mais j'ai pas mal, ça m'a pas fait mal. La gorge nouée, je saupoudre les épices au-dessus de la salade du mieux que je peux. La plupart finit à côté.

Je suis conne, je suis vraiment conne. Plus les conneries s'enchaînent dans ma vie, plus je me dis que j'ai vraiment un problème. Après être sortie avec un gars pendant 3 ans juste pour rendre Hakim jaloux, après être tombée enceinte de ce même gars et après 11 ans à élever mon fils seule, je continue à tourner en boucle dans ma connerie.

C'est le meilleur ami de Ken, mais même après 13 longues années, je réalise toujours pas que c'est voué à l'échec. Il ne le trahira jamais, hier soir c'était juste une erreur. Je sais pertinemment que sa promesse de ne jamais recommencer, il va la tenir. J'ai juste cru qu'enfin, il allait se passer un truc comme une ado qui a un crush. Pathétique.

- Putain, je souffle quand je renverse la moitié de l'eau chaude à côté de la deuxième théière.

Les mains tremblantes, ma peau effleure le four en pierre quand j'y récupère les petits gâteaux que la voisine a préparés. Et ça suffit largement à me ramener en tête tout ce que j'ai ressenti quand il m'a appuyée contre hier. Et quand il m'a embrassée.

Le plateau de biscuits s'écrase au sol quand un troupeau de larmes commence à dévaler mes joues. Je mens, ça me fait un mal de chien. J'ai pleuré toute la nuit, roulée en boule dans ma couette pour que mon frère et Alya n'entendent rien dans la chambre d'à-côté. Si Ken commence à poser des questions, c'est la fin.

Puis y a Alya. Je meurs d'envie de tout balancer à Alya. Hier, quand elle a abordé le sujet dans l'avion, j'étais aux anges. Je rêve de lui en parler depuis qu'elle connaît toute l'histoire avec Pierrick. J'ai jamais eu envie d'en parler à quiconque avant mais avec Alya, c'est toujours simple. Et même si mon frère et elle frôlent la symbiose quand ils y mettent un peu du leur, je sais qu'elle ne lui répétera jamais ce que j'aurais pu lui dire.