Nouveau souffle · Nekfeu

Chapitre 38

Ken

Tout ne peut jamais bien se passer, ça devrait être une loi universelle. Y a toujours un truc qui foire à un moment, à l'instant où t'avais le moins prévu que ça arrive. Tu peux pas passer à côté, même si t'essaies de contourner tu finiras toujours à un moment ou à un autre au pied du mur.

Y a vingt-six minutes, j'étais assis dans un coin du studio, à moitié en train d'écrire, à moitié en train d'écouter Hakim et Framal enregistrer un son. Tout était normal, tout était calme, tout était naturel. Ma journée était aussi bien dessinée que celle de la veille : déposer Lya au travail, déposer Mila et Thanos à l'école, venir au studio, aller chercher le déjeuner de ma brune, manger avec elle, revenir au studio, aller chercher Mila et Thanos, puis aller la chercher elle.

Et comme tous les soirs, on aurait dû se retrouver tous les quatre à la maison à regarder un film pourri à la télé, agglutinés sur le canapé, ma main discrètement posée sous le plaid, contre le ventre de Lya.

Mais mon téléphone a sonné, j'ai posé mon carnet, je suis sorti pour pas déranger les gars, et quand j'ai entendu la voix de Lya, tremblante, en pleurs, j'ai cru que c'était la fin, que quelqu'un était mort. Et en vérité, je sais même pas si on en est très loin.

Lili est à l'hôpital, on l'a poussée dans la cage d'escaliers du Panenka.

Pourquoi c'est toujours sur les meilleures personnes que le monde s'acharne en premier ? C'est pas comme si Lili n'avait pas eu assez de malheurs à porter sur son dos déjà. Avec Mathieu à plusieurs heures de vol de Paris en plus.

- Tonton, la voix de Mila, assise sur la banquette arrière me tire de mes pensées qui tournent en boucle, le paquet de gâteaux il veut pas s'ouvrir.

J'ai été les chercher à l'école en de-spi, je savais qu'on pourrait pas aller les chercher plus tard, Alya va vouloir rester à l'hôpital. Donc j'ai rangé mes affaires, j'ai annoncé aux gars et j'ai foncé jusqu'à l'école. Maintenant, j'ai Thanos et Mila à l'arrière, qui se demandent ce qu'il se passe, et Alya qui m'attend à la sortie de son travail, probablement dans un état que je veux même pas imaginer.

- Tu veux que j'essaie ? Thanos tend ses mains vers le paquet.

- S'il te plaît oui, je vois Mila loucher sur le paquet, comme son père pourrait loucher sur un kebab.

- Regarde si y a pas une ouverture facile Tan, je jette un œil à mon fils, assis juste à côté de la petite métisse, les yeux fixés sur le paquet de cookies.

J'ai pas pu me résoudre à leur dire. Je sais même pas comment j'aurais fait. Lili s'est faite mal, Maman et moi on va la voir à l'hôpital ? Quelqu'un a poussé Lili ? Je sais que dans tous les cas, Thanos aurait voulu venir. Et si j'avais pas déjà fait mille erreurs avec lui, j'aurais sûrement craqué et je l'aurais traîné avec nous à l'hôpital.

Mais pas cette fois. Ils ont pas à assister à ça, au moins pas tout de suite. Thanos va juste avoir peur pour Lili, peur pour le bébé, et puis quand il va voir l'état de Lya, ça va être encore pire. Parce que je crois qu'il y a pas pire que quand il voit sa maman pleurer.

- Tiens, sa voix me fait relever les yeux vers le rétro. J'ai un peu cassé le premier, il grimace en redonnant le paquet à Mila.

- Merci ! Elle perd pas une seconde pour déposer un bisou sur sa joue avant de reporter pleinement son attention sur les gâteaux.

- Petite après-midi chez Mamie Eli ? Je me force à afficher un sourire rassurant. Paraît qu'elle a préparé des crêpes juste pour vous.