Nouveau souffle · Nekfeu

Chapitre 57

Ken

Je suis tout seul au volant. Pourtant, vu le volume de pensées qui tourne dans ma tête depuis que je suis levé, on pourrait croire que je suis entouré d'une foule sans limite. Ça me prend le crâne si fort que j'ai l'impression que tous les gars me parlent en même temps.

Sauf que je suis seul. Je suis seul, je pipe pas à un mot, mais le silence est pas là pour autant.

Suffit que je lève un peu les yeux dans le rétro, que mon regard se pose sur les jouets de Thanos sur la banquette arrière, pour que les mêmes images reviennent tourner en boucle dans ma tête : Lya, en pleurs dans mes bras, Thanos sur les genoux qui essaie de la rassurer autant que moi.

"Faut garder Papa toujours toujours près de toi alors."

Je kifferais que ce soit possible, je kifferais qu'Alya l'écoute. Sauf que je suis pas inconscient, je connais ma brune. Même après plus d'un an avec moi, elle a gardé une habitude : elle essaiera toujours de régler ses problèmes seule en premier. Je sais pas ce que je suis censé faire pour qu'elle change de réflexe, mais putain je donnerais tout pour qu'elle pense à moi en premier, que ce soit moi à qui elle envoie un message si ça va pas, qu'elle m'appelle sans hésiter.

Au lieu de ça, ça fait plusieurs semaines qu'elle reste enfermée avec ses cauchemars, sans rien dire. Si le but c'était de m'éviter de flipper, c'est raté jusqu'au bout. La seule chose que je m'imagine quand elle est loin de moi, c'est ce qui pourrait bien se passer si elle fait une crise d'angoisse sans que je sois là.

- Juste deux minutes, je clique sur son contact à l'écran, deux minutes c'est r.

Elle est au taff, elle finit dans 40 minutes à peine, je m'en tape. Je veux juste entendre qu'elle va bien.

- Ken, la façon dont elle prononce mon prénom me fait sourire, tu seras en retard ?

- Nan, je tourne dans la rue parallèle à l'école, je voulais juste t'entendre.

- Je vais bien, son soupir remplit l'habitacle.

- Je veux pas te saouler Lya, j'arrête le moteur une fois garé. C'est juste que putain, je m'inquiète comme un dingue.

- Y a encore un peu de temps avant que je sois en congés maternité Ken, elle lâche. Tu peux pas me surveiller toute la journée, je savais qu'il fallait pas que je t'en parle.

- Tout ce que je te dis à chaque fois, ça produit l'effet inverse de ce que je veux, je ferme les yeux.

Le silence retombe au bout du fil.

- On rentre et on en parle ? La douceur de sa voix me fait rouvrir les yeux.

- Vraiment ? Je sens mes poumons se vider un peu mieux.

- Je veux rien qui ressemble à de la tension entre toi et moi Ken, je sais qu'on peut faire sans. Faut que je finisse mon dossier, tu seras à l'heure alors ?

- Toujours, je souris doucement avant de raccrocher. Putain de merde, mes phalanges se resserrent autour du volant la seconde d'après.

Même après autant d'années, ce bâtard a toujours autant d'influence sur elle, sur la façon dont elle se comporte, sur la confiance qu'elle donne aux autres. Je sais même pas ce qui me retient de le retrouver et de le jeter entre deux criques à Mytilène, personne ira déterrer une telle merde.

La seconde d'après, c'est un bob bleu électrique qui attire mon regard : le Bigo traverse le passage piéton dix mètres devant ma caisse, les mains dans les poches de son pantalon, la tête vers le sol. Cette histoire avec Romy, je sais que ça va mal finir. Ça le rend aussi mal que bien depuis un peu déjà. Les sorties d'école c'est plus la même chose qu'à la rentrée déjà, il y vient aussi bien habillé que pour un showcase, c'est fini le hoodie et le jogging.