Nouveau souffle · Nekfeu

Chapitre 60

Alya

J'ose pas bouger d'un poil. Il est couché sous la couette, juste à côté de moi, sa tête contre la mienne, sa main sur ma hanche n'a pas bougée de la nuit.

Et je sais qu'elle n'a pas bougée de la nuit, j'ai pas dormi une seule minute depuis qu'on est rentrés de la soirée. À chaque fois que je voyais que Ken était sur le point de se réveiller, je faisais semblant de dormir.

Mais j'ai pas réussi. Et maintenant, faut que je me lève pour aller me préparer, j'ai rendez-vous avec un client à 9h de l'autre côté de la ville. Je sais ce que Ken dirait s'il était réveillé : « Lya t'es tarée, tu vas sûrement pas aller au taff dans cet état ». Sauf qu'il dort, que je me suis battue pour obtenir ce poste, et que je me sens bien.

Je me sens bien.

Il se réveillera quand son alarme sonnera, bien après que je sois partie au travail.

Le plus délicatement possible, je glisse mes doigts le long des siens avant de poser sa main sur le matelas à côté de lui. Il a l'habitude de se réveiller quand moi je me lève, on prend le petit-déjeuner ensemble, je pars, et lui attend que Thanos soit prêt pour partir à l'école.

Pas ce matin. Sinon il va pas me laisser partir.

Ses sourcils ne se froncent même pas d'un millimètre quand je me redresse, toujours pas quand mes pieds se posent sur le parquet de la chambre. Silencieusement, je me glisse dans la salle de bain avant d'allumer la lumière.

Je vais bien. Il a pas besoin de s'inquiéter, j'ai pas besoin de rater une journée de travail, je vais bien.

- Pas besoin d'en faire tout un plat, je me place devant le miroir.

Et ça ne prend même pas une seconde à apparaître dans mon esprit : le visage de Lukas à côté du mien, dans la même tenue que celle qu'il a portée pour le clip. Jamais Ken n'aurait pu le reconnaître. Cheveux presque rasés, bonnet sur la tête, barbe qui recouvre le bas de son visage, il n'a presque plus rien à voir avec les photos que Ken a vues, et nos ressemblances se sont clairement estompées.

- C'est rien, je ferme les yeux en murmurant, c'est rien. Tout va bien, ça change rien. C'est juste le stress,ma voix se met à trembler quand je sens mes joues s'humidifier, et les hormones. C'est rien, ma main vient glisser jusqu'à mon ventre, c'est rien.

Me le répéter semble pas suffire, car quand je tends ma main pour attraper le flacon en verre d'eau micellaire posé sur le bord du lavabo, mes doigts tremblent plus que les feuilles en automne. Et je sens mon cœur lâcher quand la bouteille glisse de ma paume et commence sa chute libre jusqu'au sol.

Elle s'éclate la seconde d'après contre le carrelage, dans un nuage de bouts de verre, et surtout dans un bruit que Ken ne pourra pas ignorer.

- Lya ? J'arrête de retenir mes sanglots quand sa voix retentit dans la chambre juste à côté. T'es où ?

J'ai pas besoin de répondre, la seconde d'après, la porte de la salle de bain s'ouvre sur lui, cheveux décoiffés et regard inquiet.

- Bordel, il lâche quand ses yeux se posent sur moi, debout pieds nus au milieu de l'océan d'éclats de verre, nageant dans les restes de mon eau micellaire. Bouge pas, il fait demi-tour en vitesse.

Et ça prend pas plus d'une minute avant qu'il ne revienne avec une serpillère, de l'essuie-tout, un balai, et ses claquettes Nike.

- Lève, il se glisse jusqu'à moi, baskets aux pieds, avant d'attraper ma cheville entre ses mains.