Chapitre 54

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Alya

Je suis trempée. J'ai pas besoin d'ouvrir les paupières pour le savoir, je sens l'air frôler ma peau humide aux endroits où la couette ne me recouvre pas. Et je n'arrive même pas à retenir les larmes qui se mettent à dévaler mes joues la seconde suivante.

J'ai encore fait le même cauchemar, ça fait au moins six fois depuis lundi. Je me revois allongée sur le petit canapé, son sourire carnassier au-dessus de moi, sa main à un endroit où elle n'aurait jamais dû être. Et tout revient par vagues : la peur qui me nouait la gorge, les cris étouffés pour appeler ma grand-mère ou Lukas, l'incompréhension de ce qui était en train de se passer.

Les mains qui tremblent encore contre les draps, je soulève la couette et le constat est le même que les jours précédents : y a pas un endroit de mon corps qui n'est pas recouvert de sueur. J'ai tout essayé, y a rien qui fonctionne : la musique, les bruits blancs, une bouillotte, une tisane, des lumières apaisantes. Je peux créer une ambiance calme, ça ne changera pas pour autant la peur qui squatte mon esprit depuis plusieurs jours.

- Tout va bien, je souris doucement quand la peau de mon ventre se soulève doucement, je suis là, y a rien à craindre.

C'est un des pires mensonges que j'ai jamais inventé. Tout ne va pas bien, sinon je ne serais pas assise sur le bord de mon lit, trempée, le souffle court et le poing serré autour de la couette.

Ça revient toujours par vagues, c'est jamais régulier. Depuis le début de ma grossesse, les cauchemars se multiplient, les nuits sans réellement dormir s'enchaînent, et j'en arrive à un point où je me demande même si essayer de dormir me sert réellement à quelque chose. Chaque coin sombre de la pièce me donne l'impression qu'il pourrait être là, caché, à attendre le meilleur moment pour recommencer. Chaque homme que je croise avec une voix à peu près similaire, me donne envie de courir dans le sens opposé sans me retourner une seule fois.

J'ai aucune idée de comment faire pour protéger un enfant, je sais juste que l'amour ne suffit pas. Ma mère m'aime, mais elle n'a pas pu me protéger de lui et je ne peux même pas lui en vouloir. Alors comment est-ce que je suis censée faire pour m'assurer qu'à mon tour, mon enfant ne vive pas la même chose ? Vu que l'aimer ne suffit pas.

C'est ça qui me terrifie. Dans quelques mois, on ne sera plus seulement trois à la maison et je n'ai toujours pas de réponse à ma question.

L'effort que je dois fournir pour lâcher l'emprise que j'avais sur la couette me paraît surhumain, celui de me lever encore plus. Y a qu'une seule personne qui peut m'aider à me rendormir, qu'une seule personne contre qui j'ai juste besoin de m'appuyer et de fermer les yeux pour que les ombres disparaissent et que le calme revienne.

Silencieusement, je pousse la porte de ma chambre pour sortir dans le couloir. Les veilleuses bleues installées le long des murs ont beau me rassurer, je me glisse aussi vite que je peux dans la pièce d'à côté, refermant la porte derrière moi.

- Lu, je soupire, le front contre la porte en bois, j'ai fait un cauc..., je m'arrête quand, en me retournant, mes yeux tombent sur son lit vide en face de moi.

Oreiller parfaitement bombé, couette tirée sans un pli, armoire fermée, aucun objet à traîner au sol ou sur le chevet.

Encore une fois, j'ai fait un cauchemar. Encore une fois, j'ai oublié qu'il n'était plus là pour m'aider à me rendormir après. Dos contre le bois de la porte, je me laisse glisser jusqu'au parquet, les lèvres qui tremblent à nouveau.

- Pourquoi ? Je murmure en fermant les yeux. Pourquoi t'es parti ? Je pose la même question que tous les soirs précédents.

À 19 ans, au lieu d'être seule assise au sol chez mes parents, je pourrais être dans un appartement, en colocation avec mon frère, tous les deux allongés à parler de nos problèmes en regardant le plafond comme quand on avait encore 8 ans. À la place, je suis là, enceinte, contre la porte de sa chambre à prier pour qu'il revienne. Alors que je sais que c'est inutile, alors que je sais que ça ne m'avance à rien.

Nouveau souffle · NekfeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant