chapitre 73 : le fantôme au bois dormant

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Lissandro pénétra dans la chambre de Giana, les traits tirés aussi bien par la fatigue que par la tristesse qui l'accablait. Trouver la femme pour qui son cœur était tombé, dans le même état comateux que le jour d'avant, celui d'il y a dix jours et celui d'il y a deux mois commençait à lui peser. Plus les jours filaient et moins il avait d'espoir de revoir un jour ses grands yeux brun pétillant s'ouvrir.

Il referma sèchement derrière lui, en espérant que peut-être le bruit la réveillerait, mais il ne se passa rien. Encore. Comme la fois où il avait intentionnellement laissé un verre lui échapper des mains quand il était dans l'incapacité de contenir la colère monstre qui le bouffait et prenait largement le pas sur sa patience. D'ailleurs, de patience, il n'en avait plus. À peine un chouïa pour ses deux fils et leur innombrable questions qui n'en finissait plus.

Buongiorno amore ! susurra-t-il d'une voix de velours d'où perçait un brin d'agressivité.

Bien que féroce, il demeurait tout de même amoureux.

Penché au dessus de son corps inerte, le poing fermé dans ses cheveux noirs, Lissandro laissa tout doucement reposer son front sur le sien. Sa respiration lente chanta tristement à ses oreilles. Il n'en pouvait plus de ce son pas complètement vivant, ni complètement mort. Elle était prise dans cet espèce d'entre-deux, branchée à cette bonbonne d'oxygène qui lui permettait de respirer normalement pour ne pas qu'elle sombre éternellement et à Lissandro, ça lui foutait juste la haine. Ne pas la voir sourire tuait sa flamme à petit feu, changeait son espoir en vilaine noirceur qu'il sentait lui pourrir les veines. La voir aussi vulnérable le rendait fou. Et la possibilité qu'elle ne se réveille jamais le faisait sombrer. Il le sentait bien que son cœur redevenait aussi dur que la fois d'avant. Cette fameuse fois qui lui semblait désormais si lointaine. Une époque dans laquelle Giana n'avait pas encore sa place. Le cœur de Lissandro retrouvait son apparence d'antan, sa cruauté et toutes les saletés qui l'habitaient autrefois. Et des saletés, il en avait commis un sacré paquet au cours des deux derniers mois.

Il avait replongé comme un drogué incapable de penser sans sa came. La descente jusqu'aux enfers avait été rude, vertigineuse et sans pitié pour tout ceux qui s'étaient retrouvés sur son chemin. La souillure avait sabordé cet organe novice en amour et son âme avait de nouveau sombré dans la perdition. Une de celle qu'il n'avait jamais franchi. Aujourd'hui, pour compenser le manque, chasser l'affliction, détruire la tristesse qui le bouffait méchamment et peut-être étouffer cet amour qu'il ne voulait plus ressentir, il avait poussé son corps à l'extrême et avait franchi cette putain de ligne rouge qu'il s'était juré ne jamais dépasser.

Lissandro y était parvenu le cœur en morceaux. Juste pour accomplir ces atrocités dont souhaitait se repaître son âme, son corps, son cœur surtout, il se devait d'étouffer les belles émotions dont étaient parées son regard vert presque émeraude. Étouffer ces belles petites choses qui le chatouillaient un peu trop gentiment, titillait son humanité et avait ressuscité Lissandro, au détriment du Soldat qui était tombé dans l'oubli.

Aujourd'hui, Le Soldat était de retour et plus cruel que jamais.

Sa récurrente souffrance ne le quittait plus, elle, aussi bien que ses cauchemars revenus le hanter toutes les nuits.

Lissandro prit place à ses côtés, et commença à se livrer à elle comme il avait pris l'habitude de le faire depuis un moment. Depuis que le silence de ses visites nocturnes lui explosait les tympans. Ce silence assourdissant, il ne le supportait plus alors il parlait, parlait encore et encore jusqu'à n'en plus pouvoir.

— T'es là ? Si t'es là, reviens. C'est un ordre Principessa. Je sais plus trop où j'en suis. C'est le bordel dans ma tête et... J'arrive plus à sentir ce qui me sert de cœur. J'ai plus envie de... De retrouver ma vie d'avant où tu n'étais pas là. Mais elle revient vite cette conasse ! Cette vie de torture que j'affectionnais avant de te connaître.

Gia et Le SoldatOù les histoires vivent. Découvrez maintenant