chapitre 66 : innocence volée

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Giana leva les yeux sur Lissandro, pendue à ses lèvres comme Dario l'était, à la seule différence qu'elle pouvait voir la détresse ramper dans ses iris grises qui traduisirent le ressentiment qu'il avait de sa tendre enfance, de son adolescence. Vouloir oublier était un euphémisme. C'est dire qu'il aurait aimé extraire cet assemblage de mots, de sons, de voix, de cris et d'émotions aussi contradictoires que divinement malsaines qui formaient ses souvenirs et ne jamais garder en mémoire les images du passé qui n'avait de cesse de le hanter, de lui faire mal, de rouvrir les cicatrices, combien même c'était passé et révolu.

Quand le seul sujet à éviter était son passé sombre et torturé, Giana était d'avis que Dario venait tout bonnement de poser les mauvaises questions.

Pour le coup, son cœur de papa se perdit au fond de ce gouffre abyssal que gardait son âme et se terra dans les tourments de son enfance. Il ne pût interdire au Soldat de s'exprimer, risquant de franchir cette ligne rouge qu'il s'était promis ne jamais franchir.

- Dario... c'est la dernière fois que tu me parles d'eux, d'accord ?

Assis les jambes écartées, légèrement penché en avant, les coudes posés sur ses cuisses, il avisa le petit garçon de quatre ans qui l'observait, un air coupable peint sur le visage. Ses dessins à la main, Dario ne tarda pas à se mordiller la lèvre supérieure, se retenant de pleurer puisqu'il savait. Il le sentait que Lissandro était en colère après lui, mais il en ignorait les raisons. Sa petite bouille triste eut raison de sa carapace qui se fendilla lorsque les grands yeux bleus océan de Dario se mouillèrent de larmes. Il s'abstint de lui arracher les dessins de ses petites mains potelées pour les mettre en pièce comme il s'était imaginé le faire.

La culpabilité lui rongea férocement le palpitant quand une larme roula sur sa joue rebondie. Lissandro s'en voulut d'avoir fait pleurer Dario, encore plus quand Alessandro descendit de son siège à quatre pattes pour rejoindre son frère. Sans jamais se séparer de sa tétine, il courut vers son grand frère et le prit dans ses bras tout en lui tapotant gentiment dans le dos, exactement comme le faisait sa maman pour le calmer.

Giana craqua devant le degré d'amour qu'il lui portait. Leur petite complicité lui arracha un sourire et une petite larme. Il n'avait pas fallut longtemps pour qu'ils commencent déjà à s'aimer ces deux-là.

- Je crois que quelqu'un ici devrait présenter ses excuses à ce petit bonhomme. Lissandro ?

Giana n'eut pas le temps de l'assassiner du regard pour le convaincre de panser le cœur de leur fils. Lissandro prit délicatement la main de Dario, l'attira sur ses genoux, emportant également Alessandro et serra dans ses bras, ses deux petits garçons. Dario raffermit sa prise autour de son cou et laissa libre court à son chagrin.

- Pardon Lissandro. s'excusa-t-il en larmes.

- Surtout pas. C'est moi qui m'excuse. Je ne voulais pas te faire de peine mon amour. C'est ma faute, pleure pas okay ? Je suis désolé.

Lissandro couvrit son visage de bisous après avoir délicatement séché ses larmes chaudes qu'il haïssa de tout son cœur. Il préférait nettement mieux et à son plus grand plaisir, ses éclats de rire, ses réponses parfois insolentes, ses danses un peu loufoques mais si adorables, ses petits bisous innocents, les mots d'amour chuchotés à tout va au réveil lors du bonjour quotidien, à midi juste après le bon appétit, le soir quand il lui souhaitait bonne nuit et il ne comptait même pas les sorties au parc, à l'aquarium, les adieux temporaires aux portes de la maternelle qui serrait toujours un peu son cœur de gros dur parce qu'il avait l'impression de l'abandonner au milieu de tous ces bambins haut comme trois pommes. Il se jura de tenir Le Soldat aussi loin que possible de son fils.

Gia et Le SoldatOù les histoires vivent. Découvrez maintenant