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Vendredi 14 juillet 2023 - Tampa - Floride

Au lever du vendredi matin, j'ai délibérément retardé mon retour à la maison jusqu'à ce que la matinée soit bien avancée. Ma stratégie a porté ses fruits : mes frères ne sont pas là, probablement au travail. Cela me soulage d'avoir un peu plus de répit avant de devoir les affronter.

Je me sens comme une boxeuse se préparant pour un combat dont l'issue est incertaine. Je n'ai aucune idée de ce qu'ils vont dire, si cela se transformera en dispute ou non. Je suis plongée dans un profond flou artistique et je le déteste.

Directement, je monte dans ma chambre pour préparer ma valise. Selon les prévisions météorologiques, le temps devrait être clément en France à cette période, donc je sélectionne des vêtements estivaux ainsi que quelques pulls légers pour les soirées plus fraîches.

Le bruit de la porte qui claque au rez-de-chaussée me fait sursauter. L'idée que ce soit l'un de mes frères me paralyse. Je crois que je préférerais presque un cambrioleur, mais il est évident qu'un criminel n'aurait pas les clés. Le tintement métallique du trousseau de clés lorsqu'il entre en contact avec le bol dans l'entrée m'indique donc que cette personne les possède.

Je me surprends à marcher sur la pointe des pieds, cherchant à faire le moins de bruit possible. S'il ne m'entend pas, il ne peut pas savoir que je suis rentrée. J'écoute attentivement et mon corps se fige quand je reconnais la démarche de la personne dans les escaliers. Finalement, j'aurais préféré mes frères.

Hadès.

La porte de ma chambre étant restée ouverte, notre rencontre semble inévitable. Je pourrais essayer de me cacher, mais mon esprit rebelle me rappelle que je suis encore chez moi, et de toute façon, c'est lui qui devrait ressentir la honte. Mon cœur, lui en revanche, du moins ce qu'il en reste, me supplie de ne pas lui imposer ça.

Trop tard.

Il tourne instinctivement la tête vers ma chambre en passant, et son regard croise immédiatement le mien, le stoppant dans sa progression. Ma respiration se coupe ; juste le fait de le voir devant moi me donne envie de laisser couler à nouveau toutes les larmes de mon corps, mais je refuse de lui offrir ce cadeau.

Pourquoi est-il là, déjà ? Je mettrais ma vie en gage qu'Eden n'aurait jamais pardonné aussi rapidement.

Déterminée à rester impassible, je me dirige vers la porte dans l'intention de la lui claquer au visage. C'était sans compter sur son pied qui s'est glissé pour la bloquer. Je pousse de toutes mes forces. En vain.

— Swan, il faut qu'on parle, tonne-t-il.

— Ah, tu as retrouvé ta voix ? je crache avec agressivité. Je n'ai aucune envie de te parler, Alec. Nous n'avons plus rien à nous dire.

Son pied se retire et la porte se referme sur lui. Je me laisse glisser contre celle-ci, les larmes brouillant ma vision. Un bruit sourd résonne contre le mur, suivi d'une respiration saccadée qui traverse le chambranle, comme un écho de mon propre tumulte intérieur.

— Je... je suis tellement désolé bébé, soupire-t-il à travers la porte.

Frustration, colère, et tristesse s'engagent en moi. Un tourbillon d'émotion qui forme un cocktail explosif dans mes veines. Poussée par une vague de rage soudaine, j'agrippe la poignée de la porte et la tire violemment, le projetant en avant, son front probablement déjà appuyé contre le bois.

— Bébé ? BÉBÉ ? je hurle en le poussant. Tu te fous de ma gueule ?

— Je sais que j'ai merdé, Swan ! il crie à son tour.

Merdé ? Il m'a brisé le cœur et il appelle ça merdé ?

— Non, tu n'as pas « merdé », Alec, je lance, brûlante d'indignation. Merder, c'est oublier mon anniversaire ! Pas rester là totalement silencieux, et fuir comme un lâche juste après que je t'ai dit que je t'aimais ! Ce n'est pas me prendre pour une conne et confirmer à mes frères par ton silence que je suis juste une putain de conquête parmi tant d'autres que tu prévois de jeter après m'avoir baisé !

Ma voix se brise sur ce dernier mot qui me brûle la gorge, alors que les larmes me brûlent les joues, sans n'avoir plus l'intention de les retenir.

— Tu te souviens quand j'avais 10 ans ? je reprends d'une voix éraillée. Tu m'as parlé de ta famille, de ta mère qui avait je ne sais combien de conquêtes différentes. Ce jour-là, après m'avoir avoué que tu avais été battu dans ton enfance, tu m'avais expliqué que ces hommes qu'elle ramenait étaient là uniquement pour une chose, le sexe. Qu'ils s'en foutaient d'elle.

Je remarque clairement que mentionner son passé difficile le touche plus profondément qu'il ne veut l'admettre. Bien que je ressente de la colère envers lui, une partie de moi déteste le voir lutter avec ses démons.

— Tu te souviens de ce que tu m'as dit après ? je demande en le regardant droit dans les yeux.

Je peux presque percevoir les mécanismes de sa pensée s'activer. Conscient qu'il ne se souviendra probablement pas de cet instant, qui demeure pourtant gravé dans ma mémoire. N'ayant toujours aucune réponse de sa part, je décide de reprendre la parole.

— Tu m'avais promis que jamais tu ne laisserais un homme avec les mêmes intentions se rapprocher de moi. Tu m'avais promis de toujours me protéger, Alec. Alors pourquoi tu ne m'as pas protégé de toi ? dis-je d'une voix cassée transformée en murmure.

Les tourments dans ses yeux ne sont rien comparés à l'ouragan qui déchire mon être depuis le début de la semaine. Je recule quand il cherche à m'approcher, cherchant désespérément à échapper à sa présence oppressante.

— Non, Alec, je t'en prie... J'ai besoin que tu partes. C'est fini, je ne veux plus te voir. Ni en tant qu'amant, ni en tant qu'ami. Je veux que tu sortes définitivement de ma vie, parviens-je à articuler entre deux sanglots déchirants.

— Swan, non !

— Je parlerai aux jumeaux, le coupé-je, résolue. Cette brève histoire entre nous ne devrait pas ternir votre amitié.

Il essaie encore de contester mes paroles, mais à bout de souffle, je lui indique la porte, refusant de prolonger cet échange qui me consume de l'intérieur. La douleur sculptée sur mon visage doit être aussi évidente qu'un cri, car finalement, il cède à ma demande et quitte la pièce.

Ma respiration est saccadée, je me sens brisée. Mon ours en peluche me toise depuis le lit avant que je ne l'envoie voler à travers la pièce. Prise dans une frénésie hystérique, je décolle toutes les photos où Alec apparaît du mur et les jette dans la poubelle.

Des bruits émergent de la pièce adjacente juste avant qu'Alec ne descende les escaliers. La porte claque, puis le silence retombe comme un lourd rideau. Debout devant ma fenêtre, je l'observe alors qu'il glisse deux sacs, probablement ses affaires qu'il avait laissées ici, dans sa voiture. Comme si une corde invisible le liait à mon regard, ses yeux s'élèvent soudain vers moi.

Alec me fixe un instant avant de monter dans son véhicule et de démarrer brusquement, laissant derrière lui un sillage d'émotions tourmentées et mon cœur en poussière.

Liens interdits : entre cœurs et amitiéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant