NB : chapitre pour public averti
Les coups à la porte de la suite surprirent Lisabeth dans un état d'indolence coupable ; Isaac était absent, occupé à prospecter la capitale pour organiser le piège qu'ils voulaient tendre à l'Archeduc, et son père avait disparu les cieux-savaient-où, comme à son habitude. La jeune femme, envahie d'une certaine lassitude qui l'avait prise depuis son éveil, avait décidé de s'accorder une journée d'oisiveté. Elle avait à peine pris la peine de s'habiller, car ne comptait pas sortir, s'était emparé du livre offert par son père pour son anniversaire et s'était immergée dans la lecture de ces récits d'exploration. Lire lui manquait. À Artemoires, il passait rarement un jour sans qu'elle ne s'isole dans un coin de sa chambre afin de dévorer ses romans préférés. Depuis sa fuite, elle n'avait guère eu le temps de s'arrêter pour souffler, malgré la richesse de la bibliothèque royale qui lui avait fait de l'œil plus d'une fois.
Elle s'étira dans son fauteuil, reposa son livre et se leva pour répondre à la porte. Il s'agissait sûrement d'Andrée, venue pour la tirer de sa réclusion et lui proposer une activité ou une autre, avec cette énergie dont l'adolescente possédait le secret. Elle ouvrit donc le battant sans y réfléchir à deux fois.
Et découvrit Zecharie sur le seuil.
Lisabeth se figea dans le cadre de la porte. Une réminiscence embarrassante d'une scène identique lui traversa l'esprit, à la différence près qu'il n'y avait cette fois-ci aucune fleur dans les mains du garçon. Elle regretta aussitôt la façon dont elle s'était vêtue – une robe en charmeuse à la coupe évasée, un peu élimée aux manches et dépourvue de jupons, dont la nuance rose pâle se mariait très mal avec la blancheur de son propre teint. Le contraste lui projetait une ombre maladive sur les joues, dont elle n'avait eu cure lorsqu'elle s'était trouvée seule dans ses appartements, mais dont elle se sentit soudain très consciente sous le regard brillant de son invité.
De surcroît, elle n'avait pas revu Zecharie depuis leur étreinte dans la bibliothèque, éloignement tout à fait volontaire de sa part car elle n'avait pas encore statué sur ce que lui évoquait la situation. Trop tard, désormais. Acculée sur le palier de la suite, elle ne put que dévisager le garçon en sentant son visage s'échauffer, incapable d'anticiper la suite de la conversation. Il lui souriait, avec ce plissement enjôleur de pommette.
— Je me languissais de vous, Lisabeth, annonça-t-il en guise d'introduction. Notre dernière rencontre se faisait trop ancienne à mon goût.
Elle ignora le pétillement dans ses yeux à la mention de la rencontre en question.
— Vous devriez cesser de venir me courtiser sur le pas de mes appartements, Zecharie, mon père va finir par vous remarquer et vous faire passer l'envie des galanteries, marmonna-t-elle en jetant par réflexe un coup d'œil dans le corridor, heureusement vide.
La remontrance ne parut que l'amuser un peu plus, l'étincelle dans ses iris redoublant d'intensité.
— Ma visite survient-elle à un moment inopportun ? s'enquit-il.
— Vous avez de la chance, je suis seule en ces lieux, pour l'instant.
— Une aubaine ! se réjouit-il d'un ton malicieux. Vous pouvez m'inviter à entrer, dans ce cas.
Les phalanges de Lisabeth se crispèrent imperceptiblement sur le battant de la porte. Entrer ? Il ne pouvait être sérieux. Une entrevue seule avec lui, sans chaperon, dans l'intimité de ses propres appartements défiait tous les dogmes de la décence. D'un autre côté, elle n'était pas certaine qu'il fût plus bénéfique pour sa réputation qu'on l'aperçoive discuter généreusement avec Zecharie dans une tenue si légère, ou bien qu'elle l'abandonne à la porte et qu'il déclenche un scandale en s'y faisant remarquer, puisqu'elle était à peu près certaine qu'il ne se laisserait pas éconduire aussi facilement. Elle reconnaissait cette note espiègle dans les pattes d'oie aux coins de ses yeux. Trop de fois, elle avait été entraînée par cette même détermination alors qu'elle avait seulement croisé le jeune homme dans un couloir, et n'avait initialement entretenu aucune volonté de le suivre là où il avait décidé de la ravir pour la journée.
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Avant la pluie
FantasyEn tant que fille unique du Vidomne d'Artemoires, Lisabeth a passé son enfance dans la solitude, enfermée sur les terres de son géniteur à subir une éducation destinée à la transformer en parfaite héritière : jolie, polie, sans cervelle. Elle rêve d...