Chapitre 7 : Les chemins détournés

386 29 147
                                        

James posa les mains sur la porte de leur cabine et ferma un instant les yeux. Ils étaient parvenus jusqu'à leur nouvelle embarcation sans encombre et avaient investi leurs quartiers au fond de la coque, Isaac envoyant un sac tintant au capitaine au passage.

— Ils savent que nous allons à Aiguerouge, expira-t-il.

Perdre l'une des branches de leur réseau de cette façon était un coup dur. Le vidomne avait conscience qu'aucun homme n'était incorruptible, particulièrement le genre d'hommes qu'ils engageaient pour ces besognes. Mais si leurs poursuivants coupaient une à une toutes leurs ressources de cette façon, ils allaient peiner à accomplir leur but.

— Nous pouvons toujours modifier notre destination, proposa Isaac.

James secoua la tête.

— Non, Aiguerouge est un bon point de chute. Je ne veux pas perdre des jours à camper au hasard dans la brousse. Je préfère avoir mes ennemis sous la main, là où il est plus facile de m'en débarrasser.

Le vidomne se retourna après une inspiration, le regard dur. Son assistant se tenait le dos très droit au milieu de la cabine étroite. Il devait s'attendre à ce qui allait suivre.

— D'abord Morneguelle, pointa James. Puis l'intrusion à Artemoires. Puis ces soi-disant professionnels que tu as engagés et qui n'ont même pas été capables d'empêcher ma fille de leur filer entre les pattes. Et maintenant ça. Tu te laisses aller, Isaac.

Ce dernier soutint son attention sans flancher, un crépitement consterné dans les iris.

— Je sais. Je suis désolé.

— Je ne veux pas que tu sois désolé, je veux que cela ne se reproduise plus. J'attends mieux de toi.

— Je sais.

Lisabeth trouva son père horriblement injuste avec un homme qui était presque mort pour lui sauver la peau quelques jours plus tôt à peine. Elle entendit encore moins le fait qu'Isaac s'écrasât aussi humblement face à la critique. À sa place, Lisabeth aurait défendu à son père sa façon de penser. Cet échec était certainement multifactoriel, il ne pouvait accuser son assistant de tous les maux du monde. Elle aurait bien glissé une parole en ce sens, mais la tension dans la pièce lui nouait la gorge. Elle revoyait encore le bain de sang dans la cuisine bémontaise. Les éclaboussures sombres qu'elle avait aperçues sur le veston noir d'Isaac lorsque celui-ci l'avait ôté l'empêchaient d'oublier cet instant.

Le silence perdura dans la cabine. Trop lourd pour être apaisant, il présageait sans doute de l'ambiance à venir. Lisabeth observa l'espace confiné dans lequel ils se trouvaient tous les trois en songeant qu'ils allaient passer des jours enfermés là-dedans, les uns sur les autres. Un paravent de bois avait été dressé entre sa couchette et les paillasses des deux hommes, seul élément d'intimité qu'on pouvait lui accorder dans un tel contexte. Un vague sentiment de sécurité, qu'elle savait factice, lui était revenu depuis qu'elle s'était enfermée dans le ventre du bateau, mais ses pensées retournaient sans arrêt au futur, à leur arrivée à Aiguerouge, à ce qui les attendrait là-bas. Elle avait insisté pour être incluse dans ce voyage, se rappela-t-elle. Elle s'en serait sentie moins frustrée si elle avait su pour quelle raison ils subissaient toutes ces mésaventures.


*****


Lisabeth n'était jamais montée sur un bateau de sa vie et bien que l'embarcation ne descendît qu'un bras de rivière et que les eaux se prouvassent plutôt calme, elle fut malade toute la traversée. Comme ils ne pouvaient quitter leur cabine, encore moins se montrer sur le pont pour éviter d'y être aperçus par leurs poursuivants, elle resta cloîtrée sur sa couchette, à rendre de la bile dans une bassine pleine d'échardes à chaque fois que la houle la secouait un peu trop méchamment. Son père s'émut peu du spectacle en déclarant qu'ils étaient tous passés par là et qu'elle s'habituerait ; avec plus de sollicitude, Isaac lui donna à mâcher des feuilles au goût étrangement âcre le premier soir, qui aidèrent un peu à repousser sa nausée. Elle survécut aux deux jours suivants de voyage en demeurant tout à fait immobile, assise sur sa paillasse.

Avant la pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant