Chapitre 32 : Marcher sur un fil

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L'averse noyait toujours de gris la capitale lorsque l'on frappa à la porte de la suite. Les coups contre le bois n'entretenaient aucune délicatesse et Lisabeth expérimenta un goût ironique de déjà-vu lorsqu'une voix s'éleva de l'autre côté pour exiger :

— Ouvrez, au nom de la couronne !

Elle soupira. Sa bouche lui paraissait emplie de plâtre et une pointe douloureuse frappait sous sa chevelure ébouriffée. Quand elle se leva avec peine du sofa au fond duquel elle était recluse, le pied vacillant, elle songea qu'elle avait peut-être bu plus de vin qu'il n'était strictement nécessaire. Au moins possédait-elle l'allure convaincante de quelqu'un ayant passé les heures précédentes sous l'emprise d'un sédatif.

Elle ouvrit la porte sur le même garde chauve qui l'avait portée sur le chemin du retour, celui qui avait reçu son genou dans le sternum, escorté d'une meute blanche et or à laquelle Lisabeth épargna à peine un regard. Les sourcils épais du soldat étaient tordus dans une expression asymétrique d'agacement absolu à l'idée de se retrouver à nouveau face à cette gamine importune ; la jeune femme dupliqua la mimique en s'adossant bras croisés contre le cadre de la porte.

— Encore vous ? attaqua-t-elle. Agresser une demoiselle sans défense vous manquait déjà ?

Le garde la décala de côté sans violence, sans excuse non plus, un soupir d'irritation accompagnant le geste. Le reste de la troupe se déversa dans la pièce.

— Monseigneur l'Archeduc nous a ordonné de fouiller ces appartements, fut la seule explication qu'elle obtint.

— De quel droit ? s'outra-t-elle immédiatement. Elle n'eut pas à contrefaire son indignation. – Qu'a-t-il inventé, cette fois-ci ? L'audience est close ! Vous n'avez plus rien à faire chez moi ! Parce que Monseigneur est Ministre de mes fesses, il estime qu'il peut profaner la vie privée des autres à sa guise ?

Pendant que ses hommes s'attelaient à remuer la suite sans ordre ni déférence, le garde s'interrompit dans sa tâche et se tourna à nouveau vers elle, mains croisées dans le dos. Sa mâchoire carrée se crispa en une allure désapprobatrice.

— Vous êtes décidément très vulgaire, réprouva-t-il. Dois-je vous rappeler que vous vous trouvez ici et avant tout sous l'hospitalité de Son Altesse Sérénissime la Reine, et qu'à ce titre, vous ne pouvez interdire à ses hommes d'exécuter les ordres royaux ?

Lisabeth garda ses bras croisés sur sa poitrine, mais planta ses ongles dans chacun de ses biceps sans répondre, cette fois. Elle surveilla le carnage qu'agitaient les soldats sous un regard buté.

— Maintenant, Mademoiselle, reprit le garde avec un grincement de dents ennuyé, je souhaiterais que vous me suiviez. Leurs Majestés désirent s'entretenir avec vous.

— Je ne quitte pas les lieux avant eux, rétorqua Lisabeth en désignant les hommes d'un signe de tête peu courtois.

Son interlocuteur tiqua. Malgré les lignes claires aux coins de ses yeux, creusées dans sa peau colorée par le soleil, ou sa calvitie lustrée, il ne devait être guère plus âgé que son père.

— Vous refuseriez le roi et la reine ? accusa-t-il.

— Je viendrai, infirma Lisabeth. Dès que vos hommes auront cessé de piller mes affaires. Ces murs ont beau appartenir à la reine, leur contenu demeure le mien, et comme je n'imagine pas que vous allez ranger derrière vous, j'aimerais au moins m'assurer que vous ne détruirez pas malencontreusement quelque chose que vous ne seriez pas en mesure de rembourser.

Ils s'affrontèrent du regard, avant que le garde ne cède en levant les yeux au ciel avec exaspération. Elle était celle qui endurerait les conséquences pour avoir fait attendre Leurs Altesses Royales, après tout. À cet instant, elle ne pouvait moins s'en soucier. Elle refusait de laisser ces hommes à la solde de l'Archeduc en capacité de découvrir quelque chose qui pourrait trahir l'emplacement des notes ou de la machine.

Avant la pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant