Lisabeth vida son chargeur dans la cible sans ciller. Le recul qu'elle avait appris à encaisser ébranla à peine ses épaules, verrouillées dans une position perfectionnée par toutes les heures d'exercice dans le sous-sol de son père. Elle eut la satisfaction de constater qu'elle avait joliment centré ses tirs.
Outre le côté pratique, l'activité lui vidait l'esprit juste comme il fallait et elle s'était retrouvée à démultiplier ses entraînements, ces derniers temps.
Elle réalisa en se retournant qu'Isaac se trouvait au bas des escaliers, adossé contre la rampe pour observer ce qu'elle fabriquait. Il était entré sans qu'elle ne le remarque.
— Vous venez compléter mes leçons, Isaac ? s'enquit-elle avec un sourire en ôtant la cire qui lui servait de protection auditive. Comme au bon vieux temps ?
— Vous pensez que j'ai encore quelque chose à vous apprendre ? C'est plutôt vous qui devriez me donner des leçons, opposa-t-il, les yeux sur les impacts qui trouaient la cible.
Lisabeth se sentit rougir en posant son pistolet.
— N'exagérons rien. Entraînez-vous avec moi, alors ? J'ai toujours de sévères lacunes en combat rapproché. – Elle piocha deux bâtons polis dans l'armoire d'armes d'entraînement de son père. – A moins que vous ne soyez venu m'annoncer une urgence ?
— Pas vraiment. Je me demandais seulement ce que vous faisiez.
— Je vous manquais ? se moqua-t-elle.
— Terriblement, lui répondit-il d'un air très sérieux.
Elle en perdit toute réplique intelligente. Contrariée d'avoir dû lui céder le dernier mot, elle se détourna pour nouer un ruban dans ses cheveux, qui consentirent tout juste à cette captivité ; ses premières boucles trop courtes s'échappèrent et retombèrent le long de ses joues. Isaac accepta le bâton qu'elle lui tendit avec un coin de sourire. Lisabeth testa l'équilibre de son propre épieu d'une brève pirouette du poignet. Plus léger mais plus long que le sabre qu'elle pratiquait avec Salomé.
— Une dernière volonté ? plaisanta-t-elle en essayant un nouveau moulinet.
— Soyez gentille avec moi, pria Isaac.
— Je ne vous promets rien.
Son arme sifflant dans l'air, elle se mit en garde et effectua quelques pas largement circulaires autour de son adversaire. Celui-ci la suivit du regard, la posture détendue mais prête à réagir. Il n'attaquerait pas en premier, savait Lisabeth, pas plus qu'il ne lui accorderait d'ouverture qui ne serait pas un piège. Retournant son bâton d'un mouvement de main, elle s'avança vers lui.
Leurs bois s'entrechoquèrent. Elle se déroba d'un pas de côté. La feinte avait été destinée à le provoquer, l'obliger à entrer dans le combat. Il lui rendit aussitôt un grand coup qu'elle bloqua tout juste en pivotant sur elle-même. Changeant d'appui, elle dansa hors d'atteinte. Le bâton lui frôla le menton. Elle rétorqua d'un assaut de côté qu'il para sans effort et lui retourna immédiatement, la déséquilibrant presque ; dut sauter en arrière pour rétablir la distance. Isaac la suivit d'un pas souple. Lisabeth fut obligée de faire tournoyer son arme entre eux pour l'empêcher d'approcher de trop, ce qu'il esquiva avec une aisance menaçante, lui assénant un nouvel impact qui l'aurait fauchée dans le foie si elle ne l'avait pas contré. Le coup suivant s'enchaîna sans pause, et le suivant, et encore un autre, la forçant dans une valse de parades qui ne lui laissait pas le temps de songer à la riposte, parce qu'il lui aurait suffi d'une demi-seconde à vide pour perdre le rythme et se faire lyncher. Le style était très différent de ce qu'elle connaissait avec Salomé. L'épéiste maîtrisait les feintes comme un art, une succession fluide de sauts et de voltes qui se balançait à juste distance de l'adversaire, le titillant sans jamais l'affronter, la garde toujours haute. Isaac était bien plus direct. Il l'avait poussée dans cette spirale défensive qui l'épuisait peu à peu tandis qu'il dominait l'attaque, assez agressif pour l'empêcher de reprendre l'ascendant. Cela la contraignait à monter au contact et se mettre en danger si elle voulait sauver la moindre chance de ne pas se faire balayer complètement. Il retenait pourtant ses coups, elle le vit bien lorsqu'il évita de lui éclater les dents alors qu'elle avait commis l'erreur de laisser son visage découvert.
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Avant la pluie
FantasyEn tant que fille unique du Vidomne d'Artemoires, Lisabeth a passé son enfance dans la solitude, enfermée sur les terres de son géniteur à subir une éducation destinée à la transformer en parfaite héritière : jolie, polie, sans cervelle. Elle rêve d...
