Avant la pluie

Chapitre 79 : Les intrus

Lisabeth se glissa par le portillon qu'empruntaient d'ordinaire les livreurs après s'être assurée que personne ne se trouvait là. Isaac la suivit d'un mouvement souple. Elle avait creusé sa mémoire pour se souvenir de la disposition des pièces à l'intérieur du manoir Ufiant et ils en avaient déduit que cette entrée serait la plus discrète, du moins à cette heure.

Il faisait grand jour au dehors. Un rythme indolent remuait la demeure, des domestiques en nombre réduit, qui vaquaient à leur tâche par automatisme. L'Archeduchesse d'Oslandres était la seule à résider en ces lieux de façon permanente, et l'heure assurait qu'ils ne trouveraient ni Ufiant ni le reste de la famille, à moins d'une guigne exceptionnelle. Sans grande difficulté, ils se faufilèrent dans les longs couloirs vides en esquivant les quelques passages du personnel.

Cet endroit ne lui rappelait pas les meilleurs souvenirs. Elle s'efforça de faire abstraction. Ouvrant la voie, elle guida Isaac au-delà du deuxième étage et des chambres, qui ne les intéressaient pas, pour rejoindre le troisième étage et le bureau de l'Archeduc. Il serait toujours temps de fouiller le reste du manoir s'ils ne trouvaient là rien de concluant.

Elle n'était pas certaine de l'emplacement exact de la pièce qu'ils cherchaient, mais le manque de fréquentation leur laisserait le luxe d'étudier les lieux. Elle se glissa dans le couloir quand Isaac la tira brusquement en arrière, la plaquant derrière une commode en chêne massif. Une porte grinça non loin. Après quelques secondes anxieuses, elle aperçut le coin de la silhouette de Rachel Ufiant se traîner en direction des escaliers. Une toux sèche l'interrompit, secouant sa frêle ossature, avant qu'elle n'entame sa descente.

Isaac s'écarta prudemment, lui rendant sa liberté de mouvement. Ils contournèrent l'endroit où avait disparu l'Archeduchesse, tous sens aux aguets. En contrebas, ils l'entendirent tousser à nouveau. Loin, désormais.

Lisabeth ouvrit deux portes inutiles avant de trouver son objectif. Le bureau d'Ufiant était une pièce d'envergure, ornementée de meubles finement décorés qui semblaient valoir les yeux de la tête. Le haut plafond complémentait agréablement la grande fenêtre qui creusait le mur du fond, morcelée de miroirs qui découpaient un motif lumineux intriguant dans l'atmosphère. Fait surprenant, l'endroit se trouvait dans un désordre innommable. Les papiers débordaient de toutes les surfaces, certains avaient voleté jusqu'à l'épais tapis. Lisabeth avait imaginé Ufiant comme un modèle de psychorigidité. Ce capharnaüm ressemblait davantage à l'antre de son père.

Isaac referma la porte et s'adossa au battant, l'ouïe tournée vers l'extérieur. Lisabeth avait déjà commencé à ouvrir tous les tiroirs qui lui passaient sous la main quand il lui adressa un petit signe de tête, pour lui indiquer qu'elle avait le champ libre. Elle était devenue plutôt efficace lorsqu'il s'agissait d'éplucher des liasses de papiers en hâte depuis qu'elle avait exploré les usines Destastres avec Salomé. Ses yeux glissèrent sur l'encre, captant les mots importants. Isaac lui intimait parfois le silence d'un son étouffé, et ils s'immobilisaient tous les deux, alors qu'il épiait le mouvement de l'autre côté de la porte jusqu'à ce que celui-ci les dépasse.

L'un de ces instants frôla le désastre. Les bruits dans le couloir se rapprochèrent, puis s'arrêtèrent sur le perron du bureau. L'ombre projeta la silhouette d'une paire de chaussures sous la rainure de la porte. Isaac retint sa respiration. Prêt à maîtriser l'intrus, si celui-ci franchissait le seuil. Le jeune homme tenta un geste en direction de Lisabeth pour l'enjoindre à la discrétion, mais celle-ci était absorbée par le contenu du tiroir devant lequel elle s'était accroupie. Il grimaça lorsque le froissement des feuilles crissa dans le silence.

Deux cliquetis de l'horloge passèrent, un battement de son cœur. Les pas s'éloignèrent. Il expira lentement.

— Lisa, souffla-t-il, lorsqu'il fut certain que le risque était passé.