Chapitre 57 : Les rats quittent le navire

175 8 203
                                    

Lisabeth rajusta les pans de son épais manteau pourpre en trottinant avec empressement jusqu'au bureau de la garde. Il faisait un froid de canard, aux alentours des geôles royales. La porte du poste était ouverte, et elle réalisa avec satisfaction que l'homme de quart en cette fin d'après-midi était Thomas Ausègue. Elle toqua contre le battant, par politesse plus que par utilité.

— Mademoiselle Eliance, constata-t-il en relevant la tête, d'un ton un peu fatigué.

— Lieutenant, salua-t-elle avec espièglerie.

Il se frotta les yeux, pendant une seconde de silence, puis soupira :

— Que me vaut le plaisir ?

Fait agréable, il n'y avait aucune ironie dans sa voix, bien que de la lassitude. Lisabeth referma la porte derrière elle avec un coin de sourire et vint s'asseoir en face de son bureau. La compagnie éclipsa temporairement son angoisse, qui la tenaillait pourtant depuis qu'elle avait déposé ses preuves compromettantes au Cabinet des Affaires – de manière anonyme, bien entendu – et qu'elle avait attendu en se rongeant les sangs avec Michael des nouvelles de l'arrestation de Destastres. Toute fraîche du midi, la sentence était enfin tombée. Son œuvre ne s'arrêtait pas là, pourtant. La partie la plus cruciale restait encore à conclure.

— Pas besoin de me faire cette grimace, se moqua-t-elle. Je ne vais pas vous manger.

— Je m'attends à tout avec vous, maintenant, lui répondit Ausègue.

— Vous avez la trouille d'une pauvre enfant ?

— Allons bon, à d'autres. Vous n'êtes pas une enfant, mademoiselle, quoique vous êtes certainement une peste.

Elle lui adressa un clin d'œil narquois et il dut réprimer un bref rictus, dont elle attrapa pourtant la conclusion. Difficile de déterminer pourquoi elle se sentait systématiquement le besoin de taquiner le lieutenant. Était-ce parce qu'il avait l'air trop sérieux et marchait toujours dans ses provocations de manière distrayante, était-ce parce qu'il n'était pas désagréable à regarder – avait-elle réellement un problème avec les hommes trop vieux pour elle ? Elle n'aurait su dire ce qui lui plaisait chez lui, car hormis ses yeux bleu sombre, elle ne lui trouvait aucune caractéristique physique qui sortait de l'ordinaire ; peut-être était-ce son ergomanie ou ses longues jambes. Peut-être avait-elle un type. Quoiqu'il en fût, même s'il n'avait pas été marié avec deux enfants en bas âge, elle n'aurait jamais ressenti l'envie de concrétiser cette tocade. L'admiration distante n'était pas déplaisante, dans toute son inconséquence.

Comme elle avait tout de même mieux à faire que de reluquer Thomas Ausègue, elle quitta ses allures d'emmerdeuse et redressa la colonne. Elle était là pour négocier.

— Vous avez un nouveau prisonnier, attaqua-t-elle dans le vif du sujet.

— Les nouvelles vont vite, sourcilla le lieutenant.

— Vous pensez que je pourrais lui parler ?

— Bien sûr que non.

Il ne s'ébahit même pas de sa demande, ce qui voulait dire qu'il commençait à la connaître. Elle se pencha vers lui par-dessus le bureau.

— Vraiment, ce serait important, insista-t-elle.

— Vous vous payez ma tête, mademoiselle Eliance ? devina-t-il avec une expression blasée. Vous ne pouvez pas sérieusement croire que je vais laisser une civile – vous, par-dessus le marché – s'entretenir avec un prisonnier de la couronne sans aucune raison valable.

— J'ai une raison. Je vais vous laisser me dire si vous la trouvez valable.

Il ne l'avait pas encore mise à la porte, ce qui témoignait d'une patience inhabituelle pour lui. Lisabeth inspira dans son absence de réponse agacée. Il lui fallait se montrer convaincante. Même s'il s'agissait d'Ausègue – elle n'aurait pas droit à une seconde chance.

Avant la pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant