Lisabeth dut retenir un rire lorsque Morante entra – se traîna – dans la petite demeure de Salomé. Au gris de son teint et aux cernes qui creusaient ses joues maigres, il souffrait très clairement d'une monumentale gueule de bois. Aife, penchée sur l'une des bizarreries qu'elle avait ramenées de son voyage – ici une sorte de loupe montée au-dessus d'une tablette contrôlée par des molettes, sur laquelle un petit miroir rond renvoyait la lumière –, leva à peine les yeux vers lui mais gueula :
— Silant ! Visite !
Morante grimaça sous sa voix de stentor. Salomé apparut rapidement ; si sa démarche demeurait un peu raide, le repos lui avait été bénéfique. Le soleil avait redonné quelques couleurs à sa peau pâle, sous ses taches de rousseur qui n'en ressortaient que plus, et son visage avait retrouvé cette expression de mécontentement perpétuel qui l'animait si bien. Aife lui désigna Morante d'un signe de tête.
— Ben tiens, t'as qu'à lui demander, à lui, remarqua-t-elle.
— Lui a un nom, grogna le concerné – on l'ignora.
Salomé tira sa chemise de son pantalon pour la remonter sur son ventre, sans se soucier de se trouver en plein milieu de la pièce. Sa cicatrice traçait une ligne rouge au milieu de son abdomen. Sur le flanc gauche, la plaie creusée par le poignard s'était comblée d'un tissu blanchâtre fibreux, un souvenir blèche qui ne disparaîtrait pas. Morante la fit tousser quelques fois en palpant sa blessure, ce qui la fit grimacer de douleur.
— Quand est-ce que j'ai le droit de recommencer à faire des trucs ? lança-t-elle.
L'apprenti l'évalua d'un œil suspicieux.
— Ça dépend. Qu'est-ce que tu entends par « trucs » ?
— Je sais pas, marcher, courir, porter des trucs, vivre, quoi. On me traite comme si j'étais en sucre.
Elle glissa l'un de ses coins de regard venimeux en direction d'Aife. Morante haussa les épaules.
— Pas avant trois mois, estima-t-il.
— Quoi ? s'étouffa Salomé.
— Ah ! Qu'est-ce que j'avais dit ! se rengorgea Aife.
— Mais tu veux me tuer, pèque ? Trois mois !
— Je retire ce que j'ai dit, il est pas si nul, le jeune.
Morante sourcilla avec un air fatigué.
— Je me suis pas tapé le trajet jusqu'à la Citadelle pour me faire insulter, en fait, s'agaça-t-il. Aife se contenta de lui tirer très puérilement la langue. Comme Salomé allait protester encore, il trancha toute négociation : – Pas de reprise d'activité avant trois mois. A partir de l'opération. C'est bon, t'as déjà presque fait la moitié.
— Achevez-moi, geignit l'épéiste en se laissant tomber dans le canapé.
Aife leva les yeux au ciel.
— Oh, elle va être si chiante.
Lisabeth raccompagna Morante quand ils eurent terminé. La luminosité brutale du midi éblouit l'apprenti, qui se couvrit les yeux avec un soupir.
— Bon, faut que je rentre au palais, déplora-t-il. Embret a été assez sympa pour me couvrir ce matin, mais Devarnes va m'éclater si je me pointe pas de la journée.
— La fin de nuit était bonne ? demanda Lisabeth avec un coin de sourire espiègle.
La question ralluma une lueur de malice au fond des yeux épuisés de Morante.
— Pourquoi, tu veux les détails ?
Lisabeth refusa avec une grimace dégoutée et le chassa alors qu'il ricanait comme un petit démon.
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Avant la pluie
FantasyEn tant que fille unique du Vidomne d'Artemoires, Lisabeth a passé son enfance dans la solitude, enfermée sur les terres de son géniteur à subir une éducation destinée à la transformer en parfaite héritière : jolie, polie, sans cervelle. Elle rêve d...
