Chapitre 1 : L'effrontée

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— Mademoiselle !

Lisabeth éclata d'un rire impertinent lorsque la remontrance parvint à ses oreilles et encouragea sa monture à redoubler d'ardeur. Elle comptait bien profiter de cette promenade jusqu'à sa dernière seconde. Avec un sourire comblé, elle porta la main à ses cheveux et tira sur son ruban, libérant sa frénésie de boucles fauves qui s'épandirent sur ses épaules.

Elle n'avait plus guère l'occasion de sortir à cheval. Peut-être parce que les employés de son père commençaient à connaître ses fantaisies et se lassaient de ses innombrables escapades. Les leçons d'équitation se déroulaient désormais en manège clos, équipées de la selle d'amazone, des longs jupons de convenance et du maître à la mine austère qui ne lésinait pas sur la cravache. Le vent sur ses joues et la vitesse du galop sous un ciel pur lui manquaient.

Elle savait qu'elle regretterait cette nouvelle fugue. Elle ne retournerait pas cavaler dans les prés de si tôt, et elle recevrait la correction appropriée. Mais pour l'heure, l'ivresse de la liberté la grisait trop pour qu'elle s'en souciât.

La jeune fille poussa son destrier jusqu'à ce que les cris de sa gouvernante ne lui parviennent plus, jusqu'à ce que la demeure seigneuriale disparaisse sous la ligne d'horizon, jusqu'à ce que le titre de son père ne devienne qu'un souvenir. Elle s'autorisa une pause pour détendre ses jambes, sans se préoccuper de la boue qui macula ses bottes d'équitation vernies et l'écru de son pantalon. Sa gouvernante avait frôlé la crise d'apoplexie en comprenant que la demoiselle comptait sortir dans cette tenue indécente, ce que Lisabeth avait éludé d'un gloussement insouciant.

Elle rentra tout de même avant l'heure du dîner, peut-être sauvée par un instinct de survie.

La procession qui l'attendait de pied ferme sur le palier de la résidence aurait abattu un esprit moins indépendant. Encore portée par l'euphorie de sa course, Lisabeth ne s'en préoccupa guère. Un laquais lui prit la longe des mains avant qu'elle ne puisse s'occuper de son cheval, et elle se retrouva seule face aux regards réprobateurs de ses précepteurs.

Elle n'écouta pas l'hystérie qui s'en suivit. On la sermonna pendant une éternité. Près d'une heure, si elle en croyait l'écoulement des secondes qu'elle comptait grâce à l'horloge posée sur la cheminée. Elle s'appliqua à plaquer l'expression la plus contrite possible sur ses traits, mais échoua visiblement à donner le change : sa gouvernante interrompit l'intendant au milieu de son réquisitoire pour la rappeler à l'ordre d'un ton sec.

— Mademoiselle Lisabeth, veuillez quitter immédiatement cet air insolent ! Vous êtes priée d'entendre les avertissements qui vous sont donnés !

Lisabeth tenta de forcer ses traits en une moue différente, plus proche du remord attendu. Elle ne parvint qu'à accomplir une grimace boudeuse. Sa gouvernante exhala un soupir désespéré en secouant la tête, et l'intendant offrit à la demoiselle un regard peiné.

— Je suis navré, mademoiselle, mais vous ne nous laissez guère le choix, déclara celui-ci. Vous rendez le personnel fou avec vos âneries. Il faut que vous appreniez à respecter vos instructeurs, et à vous acquitter des tâches qui sont attendues de vous !

La jeune fille savait où les menait cette discussion, pour l'avoir déjà vécue par le passé – rarement, au début, ses nounous n'appliquant la sanction qu'en dernier recours, mais de plus en plus souvent avec la crue de ses facéties et de la fatigue du personnel. Si l'intendant se prétendait toujours attristé d'en arriver là, elle le soupçonnait secrètement de prendre un malin plaisir à perpétrer la sentence. Vieux sadique.

Ses poings se crispèrent, autant d'outrage que d'appréhension.

— Mon père... protesta-t-elle.

— Nous a appointés pour nous charger de votre éducation. Nous n'y parviendrons jamais sans vous inculquer un peu de discipline.

Avant la pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant