Chapitre 33 : La pièce manquante

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Lisabeth resserra sa cape autour d'elle et pressa le pas. Ses bottes usées piétinaient le dépôt humide qui parsemait la rue. Au cours de la nuit, la pluie s'était transformée en neige et s'abattait désormais sans discontinuer sur la capitale.

Elle suivit les grandes enjambées de Josué jusqu'en bas du boulevard puis dans les rues moins cossues, courant presque. Le majordome de son père s'était présenté à sa porte le visage blême, derrière sa large moustache auburn, lui qui ne quittait d'ordinaire jamais cette contenance spartiate à toute épreuve que ne pouvaient posséder que les hommes au service de James Eliance depuis plusieurs décennies. Lisabeth n'avait pas hésité à empoigner le premier vêtement à sa portée et à le suivre en toute hâte hors du palais, puis jusqu'à l'hôtel de son père.

Elle en traversa le perron en coup de vent et se figea.

Le capharnaüm qui avait secoué ses appartements au palais affichait pâle figure, en comparaison. Dans la demeure de son père, les hommes de l'Archeduc ne s'étaient posé aucune limite. Le mobilier avait été renversé, les tableaux arrachés des murs, les bibelots éparpillés en jachère sur le carrelage. Lisabeth se tint dans le corridor principal et s'accorda une seconde pour évaluer chaque détail de ce cataclysme sans parvenir à déterminer la nature de l'émotion qui lui retournait le ventre. Elle commençait à être trop fatiguée pour réfléchir convenablement.

— Que s'est-il passé, ici ? murmura-t-elle, bien qu'elle sût déjà la réponse.

— Des hommes de la couronne, renseigna Josué. Du moins ont-ils prétendu être envoyés par l'Archeduc d'Oslandres, mais je peux vous jurer qu'ils ne ressemblaient en rien à des soldats royaux. Ils possédaient la broche des Soleigre pour prouver leurs dires, cependant. J'ai tenté de les congédier mais j'étais seul contre quatre et je ne suis plus de ma première jeunesse...

Lisabeth nota la discrète boiterie qu'il tentait de dissimuler en appliquant sa carrure épaisse sur sa jambe saine. L'évidence raviva une étincelle de colère par-dessus le bloc gelé de désarroi qui l'avait emprisonnée toute entière. Ufiant ne s'arrêterait donc jamais.

— Il y a pire, avoua le majordome.

Sa démarche claudicante traversa le corridor sans se préoccuper des bruits de brisure. Trop éreintée pour s'effarer de l'annonce, ou parce que sa tolérance était arrivée à saturation, Lisabeth se tut et s'empressa à sa suite. Allons bon. Pire.

Josué la mena jusqu'au bureau de son père, cette petite pièce que James avait aménagée au fond de la demeure, dépourvue d'accès extérieur. La seule entrée menait au salon de chasse. L'intérieur, lambrissé d'une vieille tapisserie pourpre qui retenait les effluves de renfermé, était faiblement éclairé par la lumière grésillante d'une lampe en fonte.

— Je ne savais pas comment réagir, avoua Josué en la hâtant à l'intérieur, pour refermer aussitôt la porte derrière elle. – Je me suis précipité au palais pour quérir votre père... On m'a appris que la loi le cherchait, mais que vous, Mademoiselle, étiez toujours sur les lieux...

— Prenez votre temps, surtout, je m'en voudrais d'interrompre votre blabla, coupa une voix cassante.

L'arrondi mélodieux des syllabes, très clairement étranger, évoqua un étrange sentiment de familiarité au fond des entrailles de Lisabeth alors même qu'elle sursautait violemment. Elle était entrée sans remarquer une troisième présence dans l'office. Même avec cette notion, elle eut du mal à repérer du premier coup d'œil la silhouette parfaitement immobile qui les attendait dans l'ombre, assise en tailleur sur le bureau. Lorsqu'ils s'approchèrent, elle délia ses longues jambes et se glissa d'un mouvement souple au bas du meuble. Sa figure entra à-demi dans la maigre lumière.

Avant la pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant