Chapitre 64 : Sous la surface

148 11 117
                                    

Il fallut dix secondes à Isaac pour ouvrir la porte de la dépendance, sans émettre le moindre son et malgré l'obscurité environnante. Lisabeth le regarda replier les crochets biscornus qu'il avait utilisés, en retenant le battant ouvert.

— Il faut que vous m'appreniez à faire ça, lui chuchota-t-elle lorsqu'elle passa devant lui pour se faufiler dans l'ouverture.

Elle discerna son sourire dans la pénombre.

— A l'occasion, acquiesça-t-il en se glissant derrière elle.

Le terrain qu'ils prospectaient appartenait à une vieille université d'art qui avait perdu la plupart de ses financements au début du siècle et s'était reconvertie à-demi en musée, à-demi en décombres. Sa dépendance tenait encore debout même si elle était depuis longtemps fermée au public ; lorsque l'on remontait les archives architecturales de la capitale, on pouvait découvrir que cette petite annexe avait d'abord été un pigeonnier, rattaché aux services postaux jusqu'à ce qu'un mécène ne la rachète pour la fusionner à l'académie, environ cinq cents ans plus tôt. Avant cela, encore, il était difficile d'en retrouver la trace, peu d'écrits de l'époque ayant survécu aux incendies, aux épidémies de peste et à l'invasion færoyar du sixième siècle. Lisabeth avait passé quelques jours avec Isaac à respirer la moisissure de la grande bibliothèque communale et avait tout de même réussi à retracer, depuis de vieux parchemins qui tombaient en morceaux, d'anciens lieux de culte qui dataient d'une époque où la plupart des bâtiments de Castelnave n'étaient pas construits.

Si l'on en croyait les dessins flous qu'ils avaient recopié, puis calqués sur les cartes urbaines actuelles, la dépendance qu'ils venaient de forcer se dressait sur l'un de ces vestiges de temples païens. Difficile de comprendre ce dont il s'était réellement agi, à l'époque : un parvis pour les rituels, peut-être, ou un oratoire. Les textes étaient flous et rédigés dans un tascan si vieux qu'ils étaient heureux d'en comprendre un mot sur trois. Ils étaient pourtant tombés d'accord sur le fait que, en l'absence d'autre indice, retracer les dernières réminiscences de ces croyances séculaires était leur meilleure piste.

— Prenez l'observatoire, et je m'occupe de la salle d'étude ? proposa Lisabeth en faisant tourner le tube de sa lampe de poche.

Isaac murmura son assentiment et ils se mirent au travail. Dans le cercle faiblard de sa lumière, elle aperçut plusieurs meubles à tiroirs, certains ouverts, débordant de poussière. Le fond de l'un d'eux était tapissé de spores noires qui dégageaient une odeur insoutenable de gazon fermenté. La jeune femme remonta son foulard sur son nez. Quelques vieux pupitres branlants avaient été poussé contre le mur, sous une grande fenêtre dont l'une des vitres avait été cassée et remplacée par une planche contreplaquée. Elle chercha d'abord le long des murs, crochetant les panneaux et les bibliothèques à la recherche d'un passage. La plupart des meubles avaient été vidés, mais il restait quelques vieux ouvrages abandonnés là, qui se désagrégeaient dès qu'elle les sortait de leurs cases pour examiner le fond des étagères. Elle étudia un instant le mécanisme de la fenêtre, pour conclure qu'il ne s'agissait, en vérité, que d'une fenêtre – elle parvint à cette conclusion blasée en respirant l'air frais de l'extérieur, après avoir forcé l'ouverture du vitrage. Levant les yeux, elle fouilla les hauteurs de la pièce, plissant le nez pour discerner les détails que la lumière de sa lampe de poche atteignait difficilement. Le toit se rassemblait en panneaux hexagonaux, pointant au-dessus d'une mezzanine fermée par d'autres vitres, souvenir de l'époque où la construction abritait une volière. Difficile d'observer cet étage ; si elle voulait vraiment y éliminer la présence d'un passage secret, il lui faudrait trouver un escabeau. Une mission pour plus tard, peut-être.

Avant cela, elle s'agenouilla sur le vieux parquet à moitié mangé par les termites et chercha une trappe, ou du moins le signe d'une venue récente, des traces dans la poussière ou de meuble déplacé. Malgré la relative fraîcheur de la nuit printanière, elle commençait à sentir la sueur de ses efforts lui humidifier le dos sous sa flanelle sombre, lui perler au coin du nez. La contrainte de l'hématome sur son flanc gauche l'élançait encore parfois, lorsqu'elle l'étirait trop. Au fond de la salle, elle posa la tête sur le sol pour examiner les dessous d'un bureau. Le geste souleva quelques moutons de saleté qui lui déclenchèrent un éternuement violent. Sous les larmes que cela lui avait tiré, elle crut remarquer une encoche dans le sol. Elle tendit le bras ; le cran se trouvait trop loin. S'aplatissant sur le plancher, elle rampa à-demi sous le meuble, aussi loin que l'espace exigu le lui permettait.

Avant la pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant