Chapitre 19 : Le bal de Glaces

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Le début du mois des Glaces était marqué à la cour par une grande réception, dans un concept assez proche du premier de Cendres célébré par les habitants de Silsedelle. Le but était tant d'honorer le dernier mois de l'an que la fin des beaux jours et l'arrivée de l'hiver, dans une préparation aux cinq derniers jours de Glaces qui achevaient l'année par une succession de festivités.

Lisabeth avait rapidement compris que la moindre occasion était matière à cérémonie, à la capitale.

Louise et Andrée avaient assez insisté sur le raffinement de ce bal pour que Lisabeth mît un minimum d'application dans son apparence. Elle n'avait clairement pas la tête aux réjouissances, mais pensait profiter de l'événement pour s'insinuer un peu plus dans les convolutions de la cour et peut-être même discuter quelques instants avec l'Archeduc. Pour cela, elle ne pouvait se permettre de faire mauvaise impression. Elle avait donc laissé Andrée la traîner à travers les rues les plus chics de Castelnave – Louise leur avait servi de chaperon – dans le but de dénicher chacune une robe digne d'un conte de fée . Cette sortie, heureusement épargnée par la pluie, avait enfin permis à Lisabeth de découvrir la capitale, ses maisons de pierre roses et ses petits hôtels urbains aux portiques si soigneusement décorés. Castelnave était réputée pour ses jardins somptueux, alimentés de boutures ramenées des quatre coins du pays, et les jeunes filles avaient pu admirer le savoir-faire des paysagistes tascans malgré la grisaille ambiante : les plantations étaient ordonnées de façon à ce qu'une harmonie colorée se dégage des pépinières en toutes saisons, hiver comme été, les alternances de fleurs savamment calculées pour emplir chaque recoin de verdure peu importait le jour de l'année.

Lisabeth avait choisi sa robe un peu au hasard et surtout sur les conseils de Louise, après approbation enthousiaste d'Andrée. La mousseline outremer surlignait le dessin de sa poitrine et enserrait sa taille dans un corset cintré, avant de s'épandre en une corolle de jupons qui s'échouait délicatement sur le sol. Une broderie du même tissu, perlée d'argent, entourait son cou en guise de finition. Louise avait déclaré que la couleur la mettait joliment en valeur, ce que Lisabeth essayait désespérément de retrouver, assise devant la coiffeuse du salon, alors qu'elle tentait en vain de discipliner ses boucles châtain. Elle ne se considérait pas spécialement disgracieuse, mais ne pouvait qualifier son visage de « beau » en toute honnêteté. Pas lorsqu'elle estimait son nez trop pointu, ses yeux bruns trop écartés et les taches de rousseur qui marquaient ses joues trop proéminentes. Sans parler de la pagaille innommable que représentaient ses cheveux. Lorsqu'elle se comparait à la délicatesse d'Andrée, ou à la splendeur rayonnante de Louise, elle concluait qu'elle faisait bien pâle figure.

Elle soupira devant son miroir et décida de laisser tranquille le chignon qu'elle réarrangeait pour la énième fois. Peine perdue. Elle préféra se souvenir de la reine Grâce, qu'elle avait trouvée si banale de visage mais qui incarnait malgré tout la personne la plus élégante, et de loin, de tout ce palais ; le charisme n'était pas une question de traits, se convainquit-elle.

— Me pensez-vous correctement accoutrée ? interrogea-t-elle en direction de son père, qui attachait ses boutons de manchette à quelques pas de là.

Il avait revêtu un costume gris, plus clair et plus fantaisiste que ses habituelles redingotes noires, ainsi qu'un nœud papillon sombre à pois qui représentait sans doute la touche d'extravagance la plus frivole que James Eliance s'autoriserait jamais. Il n'était probablement pas le meilleur conseiller à requérir en terme de mode, mais il connaissait les codes de la cour, assez pour savoir ce qui était considéré acceptable. Le vidomne s'extirpa de sa tâche pour balayer sa fille du regard, des pieds à la tête.

— Cela conviendra parfaitement, certifia-t-il en retournant à ses manchettes.

Assis dans un fauteuil de l'autre côté de la pièce, Isaac lui adressa dans le dos de James un discret hochement de tête qui rassura un peu plus Lisabeth. Elle rendit à l'assistant un rictus inquiet, qu'il évinça d'un clin d'œil apaisant.

Avant la pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant