Chapitre 61 : Ce qui naît du chaos

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Lisabeth cligna des cils embourbés de sommeil. Comme cela ne lui arrivait que peu, elle avait dormi d'une traite, une lourde narcose réparatrice ; enfoncée dans la chaleur de ses draps, elle étira son corps qu'emplissait une quiétude agréable. Son épuisement physique avait eu raison de ses habituels cauchemars.

Quand elle bougea, ses côtes ecchymosées se rappelèrent à son bon souvenir, et elle expira un juron. Elle était pourtant prête à passer outre. Le prix à payer restait raisonnable, de son point de vue.

Elle enfila un pantalon en bénissant le bonheur de vêtements secs et confortables. Ses boucles avaient repris leur forme, l'informa un coup d'œil dans le miroir, encadrant son menton d'hélices fauves. Une croûte noirâtre séchait dans l'estafilade sous sa mâchoire. Elle n'en était pas à une cicatrice près, songea-t-elle en examinant ses bras, où persistait une kyrielle d'étoiles blanchâtres, résidus des coupures infligées par les brisures de verre lors de l'attaque de la pharmacie d'Aife. En un an, les marques s'étaient presque dissoutes, discrètes pour un œil non avisé, bien qu'elles ressortissent lorsque sa peau prenait trop le soleil.

Elle descendit les escaliers en jetant un œil par les fenêtres. Le ciel demeurait gris mais l'averse n'avait pas repris. L'inondation de la Franche parviendrait peut-être à être contenue. Le jour filtrait doucement, indiquant l'heure matinale.

Assis à la table de la cuisine, elle trouva Isaac qui examinait le journal de la veille, une tasse de thé pleine abandonnée à côté de lui. Il avait ouvert le portillon du jardin, malgré l'air frais qui s'engouffrait dans la pièce, sans doute pour chasser les effluves de désinfectant qui imprégnaient le carrelage après leur petite séance de nettoyage intensif de la nuit. Il avait fallu vider quelques bouteilles de vinaigre pour effacer toute odeur de sang.

— Bonjour, salua-t-elle d'un ton guilleret.

Isaac leva les yeux vers elle et lui adressa un sourire.

— Bien dormi ? s'enquit-il.

Elle eut le plaisir de découvrir la théière pleine, encore fumante, de laquelle elle se servit une tasse démesurée. La boîte en fer qui contenait les biscuits au beurre rejoignit vite le menu. Elle se sentait affamée, contre-coup probable d'une expérience de mort imminente, de quelques os fracturés et de la nécessité de recomposer ses réserves d'adrénaline.

— Divinement, acquiesça-t-elle en prenant place à côté de lui.

— Et vos côtes ?

Une culpabilité sous-jacente flottait dans sa voix, à laquelle Lisabeth décerna un regard ennuyé.

— Une horreur, persifla-t-elle. Je souffre le martyr. Regardez-moi, je suis au bord de la mort.

Il lui rendit une moue blasée et elle décocha un petit coup de talon dans le pied de sa chaise.

— Que voulez-vous que je vous dise ? rétorqua-t-elle plus sérieusement. Elles vont guérir, ne vous minez pas.

— Je sais bien. Ça ne m'empêche pas de m'en vouloir.

— Sans rancune, lui assura-t-elle en lui tendant sa boîte de biscuits.

Elle profita de son thé brûlant dans un silence paisible. A l'occasion, il lui faudrait prévenir Josué que le danger était écarté. Par précaution, elle souhaitait tout de même patienter quelques jours. Elle se sentirait bête si Ufiant lui envoyait d'autres cinglés après avoir déclaré la voie libre.

— Cela vous va très bien, constata Isaac sans préambule. Comme elle le regarda d'un air perplexe, il précisa : – Vos cheveux.

Lisabeth dissimula la rougeur soudaine et cuisante de ses joues à l'intérieur de sa tasse. Elle se demanda pourquoi une simple flatterie lui provoquait un tel embarras. Par-dessus le marché, il était loin d'être le premier à commenter cette nouvelle longueur.

Avant la pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant