Chapitre 42 : La nièce du photographe

226 11 109
                                        

Le petit matin se laissait deviner lorsqu'Aife et Lisabeth quittèrent les vicissitudes du palais pour retrouver les fonds de la Citadelle. Leurs souffles se matérialisaient en silhouettes désincarnées devant leurs bouches, et la rosée perlait au coin des fenêtres des habitations. L'heure avait arraché l'apothicaire à son travail, comme il en avait été convenu avec Ausègue, passée laquelle le lieutenant craignait que l'éveil de la ville ne les pousse aux rencontres impromptues. La réparation demanderait encore quelques séances avant de porter ses fruits mais, contrairement aux craintes de Lisabeth, Aife semblait plutôt optimiste.

— Je me chagrine juste du temps que cela va nous prendre, murmura Lisabeth alors qu'elles tournaient à l'angle d'une maison à colombages de guingois. Pour être franche, elle n'était pas certaine de leur destination actuelle. – Multiplier les effractions au palais signifie augmenter le risque que l'Archeduc n'ait vent de cette organisation et ne nous intercepte.

— J'imagine que l'on peut faire confiance à tes amis gardes, médita l'accent mélodieux d'Aife, étouffé par les couches de son déguisement. Lisabeth savait qu'un tel aveu devait lui arracher la bouche. – Pur pragmatisme. Je ne vois pas l'intérêt à nous laisser opérer cette nuit en toute impunité alors qu'il s'agissait de l'occasion rêver de ferrer le concepteur de la machine. Le reste ne repose donc que sur des questions de discrétion.

Lisabeth se mordit la joue en essayant de dissimuler sa grimace. Elle repensa à Embret. À l'air libre, la touffeur du stress et de l'atmosphère saturée de l'infirmerie ayant libéré ses esprits, elle se demanda comment elle avait pu le laisser s'en tirer de cette façon. Malgré toute son innocence tranquille, il s'agissait d'une personne qui l'avait vue, d'une personne qui pouvait cafarder sa présence dans l'infirmerie ce soir-là, volontairement ou non. Elle aurait dû le retenir.

Et ensuite ? songea-t-elle avec aigreur. Sa réflexion n'avait pas encore atteint ces extrémités.

— Je suis étonnée que vous acceptiez cela sans plus de réticence, remarqua-t-elle plutôt à Aife.

L'apothicaire haussa les épaules.

— J'ai accepté être fourrée là-dedans avec toi jusqu'au bout, je crois.

Sa silhouette enrubannée s'affaissa légèrement. Lisabeth eut un sourire.

— N'ayez pas l'air si désespérée. Si vous me pardonnez cette curiosité, où allons-nous ?

Elles avaient depuis longtemps dépassé les frontières des connaissances géographiques de Lisabeth. La basse-ville s'était refermée sur elles, emprisonnant les premiers rais du soleil derrière ses façades élevées, louvoyant entre ses canaux. Les rues, bien que toutes baptisées, parfois de plusieurs appellations chacune, n'affichaient aucun nom, suaient à démarquer la fin de leur début. Le jour n'avait pas encore émergé mais le trottoir ruisselait déjà, bousculé de monde. La haute stature d'Aife s'y faufilait avec l'aisance de l'habituée, comme une ombre moulée dans les dernières ténèbres ; Lisabeth peinait parfois à la suivre.

— Ma nouvelle demeure, murmura l'apothicaire, pourtant tout près ; – temporaire, du moins. Et je dois te présenter quelqu'un. Tu lui dois la moitié de ce fric.

La maison se trouvait dans un enchevêtrement de rues moins fréquentées à cette heure, dépourvues des échoppes d'artisans qu'elles avaient croisées précédemment. L'espace s'en faisait plus étroit. Aife enjamba les débords d'un égout pour traverser une petite place centrée d'un vieux marronnier aux branchages rachitiques. Un gamin s'était hissé sur le banc qui longeait le rameau et passait le temps en jetant un bâton au chien errant qui lapait dans le caniveau.

È va ! le héla l'apothicaire. Déjà debout, pèque ?

L'enfant sauta au bas de son perchoir. Il avait la carrure maigrelette de la croissance entachée par la malnutrition, et Lisabeth songea qu'elle sous-estimait probablement la réalité lorsqu'elle ne lui donnait pas plus de quatre ans. Son teint cuivré et le retroussement de ses paupières témoignaient d'un métissage comme on n'en croisait guère en Tascanie en dehors des limites fermées de la Citadelle, dissimulés par la trombe de boucles sales qui lui tombait sur le visage.

Avant la pluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant