— Josué, savez-vous comment retrouver dans cette ville quelqu'un qui ne veut pas être trouvé ? s'enquit pensivement Lisabeth le matin suivant.
Le vieux majordome posa sur elle un regard perplexe par-dessus sa tasse de thé. Quand elle était revenue à l'hôtel de son père après ces trois jours infernaux, couverte d'ecchymoses et la rumeur de la guérison du prince habillant ses épaules comme une cape, il avait décidé de cesser de poser des questions. Une habitude qu'il avait acquise au service du Vidomne d'Artemoires, devinait-elle. Il devait l'avoir catégorisée aussi incontrôlable que son père.
— Vous pourriez commencer par le Théâtre, avoua-t-il après une réflexion.
Lisabeth le dévisagea avec incrédulité. Elle ne s'attendait pas réellement à ce qu'il lui fournît une réponse.
— Le Théâtre ? répéta-t-elle.
— L'un des terriers les moins bien famés de la Citadelle. S'y échangent toutes les transactions sous le manteau, dit-on. Je n'y ai moi-même jamais mis les pieds mais j'imagine que c'est l'endroit où chercher votre information.
La jeune femme pondéra l'idée en émiettant entre ses doigts le biscuit qui reposait dans son assiette. Elle n'était pas certaine d'être en capacité de se mêler à la pègre de la basse-ville. Sa confrontation avec les mercenaires d'Ufiant l'avait guérie de toute volonté d'imprudence.
— Josué... où avez-vous entendu parler d'un tel endroit ? s'intrigua-t-elle.
— Isaac l'a mentionné un jour. Il a dû estimer que l'information me serait utile.
La bouche du majordome se tordit sous son imposante moustache.
— Ce garçon n'a jamais été très loquace... mais il s'est ouvert, avec le temps, ajouta-t-il, et ce fut tout.
Lisabeth entendit l'affection bourrue qui s'en détachait, et sentit le croc inattendu de la solitude se planter sous sa côte. Trois mois désormais et elle ne se sentait pas plus proche de revoir son père ou l'assistant un jour. Cette constatation aurait sans doute été plus aisée à supporter si elle avait encore disposé de ses anciennes amitiés, mais Louise l'évitait comme la peste depuis le procès et elle ne possédait pas les tripes de s'approcher d'Andrée.
Elle ravala sa morosité en lissant machinalement de l'index les carreaux verts de la nappe. Elle s'apitoyait sur son sort, remarqua-t-elle. Cela ne la mènerait à rien.
— Êtes-vous sûre, Mademoiselle Lisabeth ? l'interrompit Josué. Elle bénit la distraction. – Les dessous de la Citadelle sont réputés impitoyables. Je ne sais pas si l'idée est très prudente.
— Ai-je vraiment le choix ? soupira la jeune femme. Rassurez-vous, Josué, je ne tenterai pas de dépasser mes limites.
Il y eut un silence dubitatif, au cours duquel il se remémorait sans doute l'état dans lequel il l'avait vue revenir, la dernière fois. Lisabeth secoua la tête. Cela ne l'enchantait pas mais elle possédait réellement peu d'option. Elle devait retrouver Aife et sans information explicite, cela reviendrait à chercher une aiguille dans une botte de foin.
— Admettons, abdiqua le majordome. Si vous me le permettez, Mademoiselle, vous devriez changer de garde-robe. Vous ne pouvez courir la Citadelle avec une attitude qui transpire la vieille monnaie.
Lisabeth descendit un œil circonspect sur sa tenue. Elle portait l'une des anciennes robes en laine de sa mère, élimée aux ourlets et ternie par les nombreuses lessives, et ses bottines usées jusqu'à la corne qu'elle n'avait toujours pas remplacée. De son avis, elle n'affectait en rien les allures normées de la noblesse, mais elle estima que Josué possédait sans doute une vision moins partiale que la sienne à ce sujet. Elle se leva en acquiesçant.
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Avant la pluie
FantasyEn tant que fille unique du Vidomne d'Artemoires, Lisabeth a passé son enfance dans la solitude, enfermée sur les terres de son géniteur à subir une éducation destinée à la transformer en parfaite héritière : jolie, polie, sans cervelle. Elle rêve d...